#title Pour l’unification du mouvement marxiste-léniniste canadien
#author En lutte !
#date 1er septembre 1976
#source « Unité prolétarienne », vol. 1 no. 1
#lang fr
#pubdate 2024-12-17T19:04:20
#authors En lutte !
#topics Canada, Québec
* Introduction
De plus en plus de marxistes-léninistes canadiens se préoccupent de la question de leur unification ; cela est positif : les esprits sont ouverts à l’examen de cette question et des pas en avant deviennent possibles. De plus en plus d’ouvriers et de travailleurs, ralliés au mouvement ou simplement sympathiques à son travail, se préoccupent également de cette question et cela est encore plus significatif: convaincus de la nécessité de mener la lutte contre le réformisme, contre les voies opportunistes qui ont cours dans le mouvement ouvrier, les travailleurs sont conscients du handicap énorme que représente la dispersion, la désunion, bref la faiblesse du mouvement marxiste-léniniste. En d’autres termes, les éléments les plus avancés du prolétariat sont bien conscients que cette unité doit se réaliser sur la base de la ligne marxiste-léniniste et qu’elle ne pourra prendre vraiment forme et se développer que sous la direction du parti prolétarien marxiste-léniniste.
Autant chez les ouvriers avancés que chez les marxistes-léninistes, la question de l’unité du mouvement marxiste-léniniste canadien, comme condition essentielle à la création du parti, se pose avec de plus en plus d’insistance. Dans de telles conditions, il est du devoir de tous les marxistes-léninistes canadiens non seulement de reconnaître la justesse théorique du point de vue suivant lequel l’unité est une condition de la création du parti, mais bien de travailler à l’élaboration et a la mise en application des moyens propres à réaliser l’unification politique et organisationnelle des marxistes-léninistes canadiens.
Si le désir d’unité se retrouve, règle générale, dans l’ensemble du mouvement, il arrive que l’unanimité est loin de régner sur la façon d’y parvenir. Il convient donc d’établir clairement comment dans les conditions qui prévalent dans notre pays en ce moment, doit s’appliquer la ligne marxiste-léniniste en matière d’unité politique et organisationnelle. Pour cela il faudra nécessairement identifier et critiquer les conceptions erronées qui ont cours à cet égard, en particulier le point de vue selon lequel la clé de l’unification des marxistes-léninistes canadiens réside dans la « ligne idéologique et politique juste » parce que celle-ci serait « déterminante en tout ». Nous verrons comment d’un principe marxiste-léniniste, les tenants de ce point de vue, tirent une tactique erronée qui conduit tout droit, dans les conditions présentes, à l’évacuation du débat politique et à l’opportunisme.
Nous pensons, quant à nous, qu’il est essentiel au point de départ, de bien délimiter les contours du problème que nous voulons résoudre. Ce problème, c’est celui de savoir comment réaliser l’unification politique et idéologique de tous les marxistes-léninistes canadien au sein du parti prolétarien. Face à ce problème, nous disons qu’il faut créer une organisation canadienne de lutte pour le parti dont la tâche historique, la tâche spécifique, sera de réunir les conditions de création du parti. Il ne faudrait pas, par conséquent, confondre parti et organisation pré-parti, car cela pourrait conduire à poser à la création de l’organisation les mêmes conditions qu’à la création du parti.
Cela n’est pas une simple question de mots ; la nécessité de l’organisation pré-parti à l’échelle du Canada est une exigence qui découle de la juste application du marxisme-léninisme dans les conditions qui prévalent présentement dans notre pays.
Nous tenterons dans les pages qui suivent d’établir clairement notre position sur la question de l’unité des marxistes-léninistes canadiens, en quoi cette position se distingue des autres points de vue qu’on retrouve dans le mouvement, en quoi cette position constitue le développement et la correction des points de vue que nous avons avancés et des gestes que nous mettons de l’avant et comment la lutte pour l’unité est indissociable des luttes actuelles du prolétariat et des masses.
* I. L’édification du parti passe par la création d’une organisation à l’échelle du pays
** Tirer les leçons du passé
« Créer et affermir le Parti », a dit Lénine, « c’est créer et affermir l’union de tous les social-démocrates russes » . Appliquée aux conditions actuelles, cette affirmation qui date de 1900, signifie que partout où les anciens partis communiste ont sombré dans le révisionnisme moderne dans les années 1950 et 60, il est du devoir des marxiste-léniniste de « créer et d’affermir » un parti révolutionnaire qui applique résolument le marxisme-léninisme et non le révisionnisme. Pour cela, il faut « créer et affermir » l’union de tous les marxistes-léninistes.
Sans entrer dans les détails de l’analyse historique — une analyse qui devra cependant être faite, car l’histoire du mouvement communiste et du mouvement ouvrier en général est fort mal connue au Canada même chez les marxistes-léninistes — on peut dire que la question de l’« union » des marxistes-léninistes s’est posée dans notre pays dès qu ‘il s’est trouvé des communistes au sein du Parti communiste du Canada, le P.C.C. (révisionniste), qui ont pris conscience que la ligne de celui-ci était une ligne opportuniste consolidée, une ligne fondamentalement révisionniste qui abandonnait le marxisme-léninisme sur les points essentiels.
Des manifestations de cette conscience, sur lesquelles il appartiendra à l’analyse historique de porter un jugement plus définitif, se sont produites très tôt au sein du P .C.C. (r). Nous en mentionnerons deux. Dans les années 50, des communistes du Québec, dont Henri Gagnon, quittèrent le Parti révisionniste et formèrent le Parti communiste québécois en raison, entre autres, de divergences sur la question nationale québécoise. Dans les années 60, ce fut au tour de Jack Scott de démissionner pour fonder le Progressive Workers’ Movement.
Ni le P.W.M. de Jack Scott ni le P.C.Q. et plus tard le Caucus de gauche d’Henri Gagnon ne parviennent à réaliser l’union des marxistes-léninistes ; en fait, ils ne parviennent même pas à opérer une véritable rupture avec le révisionnisme et à établir clairement leur action sur une base marxiste-léniniste. Leurs tentatives échouèrent donc toutes les deux, mais elles témoignent néanmoins que la lutte de ligne existait au sein du P.C.C. (r) même si le courant principal y était le révisionnisme et a dégénérescence totale.
En même temps que le P .C.C. (r) connaissait les soubresauts de sa lente agonie, qui se poursuit toujours, des forces nouvelles apparaissaient et s’ouvraient progressivement à la lutte internationale entre le révisionnisme, représenté principalement par le parti communiste de l’Union Soviétique, P .C.U.S., et le marxisme-léninisme dont le Parti communiste Chinois et le Parti du Travail d’Albanie étaient et demeurent les plus fermes défenseurs. Surtout actives en milieu étudiant, ces forces nouvelles se retrouvaient aussi dans les syndicats et même au N.P.D. avec sa, fraction « Waffle » . Rompant avec l’opportunisme consommé du P.C.C. (r), elles demeurèrent longtemps isolées, ballottées entre les divers courants radicaux des années 60, fortement impressionnées par la guérilla cubaine et souvent attirées par l’action violente des Black Panthers américains et du F.L.Q. québécois.
Faute de se lier étroitement aux masses, le mouvement étudiant progressiste des années 60 dégénéra rapidement au Canada anglais sous l’influence corrosive du dogmatisme et du gauchis- me des Internationalistes créés à Vancouver par Hardial Bains. Alors qu’au Québec de nombreux militants gagnés au marxisme-léninisme entreprenaient de se lier aux masses en ralliant diverses organisations populaires, en particulier les Comités d’Action Politique, C.A.P., un bon nombre de militants canadiens, trompés par la démagogie de Bains, le suivaient dans l’aventure du Parti Communiste du Canada (m.-l.) en 1970, alors que d’autres créaient le Parti du Travail du Canada, P.T.C.
Les fondateurs du P.C.C. (m.-l.) et du P.T.C. avaient tout simplement renversé la proposition de Lénine et au lieu de lutter pour !’« union » des marxistes-léninistes en vue de « créer et affermir » le parti, ils avaient plutôt décidé de créer d’abord le parti, quitte sans doute à réaliser l’unité des marxistes-léninistes après! C’était vouloir corriger l’erreur opportuniste de droite du P.W.M. qui refusait de poser clairement la nécessité du parti, par une erreur dogmatique et gauchiste qui prit la forme: « il faut un parti marxiste-léniniste, nous sommes marxistes-léninistes: créons donc ce parti »! Dogmatisme et gauchisme qui prirent ensuite la forme: « les marxistes-léninistes canadiens ont un parti: ils doivent rallier ce parti, c’est une obligation, autrement ils se retrouvent dans le camp de l’opportunisme et du révisionnisme » . L’histoire a été plus forte que idéalisme et le volontarisme des défenseurs du P.C.C. (m.-l.) et du P.T.C., dont le premier surtout n’aura jamais été qu’un frein au développement de l’action communiste dans les masses canadiennes et un frein à l’unité des marxistes-léninistes.
Aujourd’hui si on considère le mouvement marxiste-léniniste canadien dans son ensemble, on constate que les erreurs du P.W.M. et la ligne totalement erronée du P.C.C. (m.-l.) continuent de produire des effets négatifs. Une fraction des marxistes-léninistes canadiens ne reconnaît pas en pratique la nécessité du parti, car l’affirmation verbale qu’elle en fait ne s’accompagne pas de gestes conséquents: il faut voir là l’influence de la ligne spontanéiste du P.W.M. en matière d’organisation. En même temps, l’échec retentissant du P.C.C.(m.-l.) a laissé une couche importante du mouvement très « réservée » face à la question du parti: toute proposition relative à la mise sur pied d’une organisation centralisée y est accueillie avec un certain scepticisme; même si on en reconnaît la valeur, on veut en reporter l’application à plus tard. Ce qui a pour effet de renforcer la tendance au localisme et à !‘économisme qui constituent l’héritage négatif principal du P.W.M.
En revanche, pour d’autres marxistes-léninistes, tout se passe comme si le P.W.M., le P.T.C., le P.C.C. (m.-l.), etc. n’avaient jamais existé, comme s’il n’y avait rien à tirer de leurs expériences sous prétexte qu’il s’agissait d’organisations dominées par l’opportunisme et qu’en conséquence elles n’appartiennent pas à l’histoire du mouvement. Cela est une erreur: les marxistes-léninistes ne bâtissent pas l’histoire suivant ce qui les arrange: ils prennent l’histoire telle qu’elle s’est déroulée, cherchent à comprendre son déroulement afin d’en tirer des leçons, afin d’éviter la répétition d’erreurs, par exemple, qui ont conduit à des culs-de-sac.
Il se trouve présentement, au Québec principalement, des marxistes-léninistes qui risquent dangereusement de reproduire à six années d’intervalle, les erreurs du P.C.C. (m.-l.), faute précisément de les avoir analysées. Ainsi, au Canada anglais, on a longtemps piétiné sur place, on a évité de poser tout geste susceptible de faire progresser le mouvement vers le parti, par crainte de reproduire les erreurs du P.C.C.(m.-l.). Au Québec, pendant ce temps, on se dirige allègrement vers le parti, alors que les conditions ne sont pas réunies, répétant ainsi les erreurs du P.C.C. (m.-l.) qu’on a négligé d’étudier pour en tirer les enseignements.
** Partir de la réalité pour la transformer
Notre objectif est de parvenir à l’unité de tous les marxistes-léninistes canadiens; il s’agit là d’une condition essentielle à la création du parti. Comment y arriver? Pour répondre à cette question correctement, pour établir une juste tactique d’unification des marxistes-léninistes, il faut bien connaître la situation actuelle, la situation qu’il s’agit de transformer précisément en son contraire.
La résolution de toute contradiction passe inévitablement par la connaissance de sa nature spécifique, ce que Lénine a formulé dans les termes faire « l’analyse concrète de la situation concrète ». Les principes les plus justes, s’ils ne sont pas appliqués à l’analyse de la situation particulière qu’on veut transformer et à l’établissement des moyens de cette transformation, peuvent procurer beaucoup de satisfaction à ceux qui se vantent de les bien connaître, mais ils demeurent alors de peu d’utilité. Il ne suffit pas d’étudier les lois de la contradiction ou l’expérience historique du mouvement communiste, il faut encore, sur la base de ces lois et de ces enseignements, chercher à analyser correctement le problème ou la contradiction qu’on a à résoudre. Comme dit Mao Zedong, il faut pour cela adopter « la position, le point de vue, la méthode » du marxisme-léninisme, et ne pas réduire celui-ci à un dogme mort [1].
Il en va de même dans la question de l’unité des marxistes-léninistes. On aura beau avancer le principe « unité-critique-unité », si on pratique la désunion et la scission, on n’aura fait que « brandir le drapeau rouge du marxisme-léninisme pour mieux le fouler aux pieds ». On aura beau répéter que « la ligne idéologique et politique est déterminante en tout », si en matière d’unité on adopte une ligne erronée faute de connaître la nature particulière du problème de l’unité des marxistes-léninistes au Canada, on ne fera pas avancer l’unité, on la retardera...
Travailler à l’unité du mouvement marxiste-léniniste dans les conditions actuelles c’est travailler à rompre avec la division du mouvement en de multiples organisations, groupes et cercle et qui se réclament du marxisme-léninisme et et mène la lutte pour sa diffusion au sein du prolétariat et dans les masses; c es travailler à mettre un terme à la désorganisation, pour ne pas dire à l’anarchie, qui en résulte. Une telle affirmation ne tombe pas du ciel; il faut en saisir la portée concrète, à savoir la reconnaissance de l’existence d’un mouvement marxiste-léniniste au Canada. Il n’est pas inutile, en ce moment, d’affirmer bien clairement l’existence du mouvement marxiste-léniniste canadien, car il se trouve encore trop de camarades à en réduire la composition à leur groupe ou à leur organisation et au cercle de leurs amis avec qui ils partagent une « absolue identité de vue ». Tant qu’une telle conception prévaudra au sein d’une partie du mouvement, il y aura là un frein important à l’unité, car il s’agit d’une conception tout à fait idéaliste qui est sans rapport avec la réalité.
Nous disons que dans les conditions actuelles, l’unité de tous les marxistes-léninistes ou, en d’autres termes, la création du parti au Canada, passe par la constitution d’une organisation canadienne de lutte pour le parti; nous disons que cette organisation doit unir le plus grand nombre de marxistes-léninistes du pays sur une ligne marxiste-léniniste soumise à l’étude et à la discussion de l’ensemble du mouvement avant la création de l’organisation; nous disons que cette organisation aura comme tâche historique d’unir tous les marxistes-léninistes du pays, d’élaborer le programme du parti et de procéder à sa création, Dans les conditions présentes, toute autre méthode est voué à l’échec et ne peut conduire qu’à la division des forces marxistes-léninistes et non à leur unité. Cela a été amplement démontré par maintes tentatives, autant au Canada qu’à l’étranger au cours des dernières années
Cette position n’est pas gratuite ou arbitraire; elle résulte de l’application des principes du marxisme-léninisme et des enseignements du mouvement communiste international aux conditions concrètes de l’heure dans notre pays. Ces conditions sont qu’après une dizaine d’années de luttes diverses et plus ou moins conséquentes contre l’opportunisme et le révisionnisme, qu’après quelque cinq ans d’efforts pour amorcer solidement la fusion du marxisme-léninisme et du mouvement ouvrier, il existe un mouvement marxiste-léniniste canadien, encore faiblement et très inégalement développé, mais néanmoins en voie de se lier aux couches avancées du prolétariat et du peuple. Le mouvement marxiste-léniniste canadien est formé de diverses organisations, groupes, noyaux et cercles qui ont tous en commun de lutter pour une juste application du marxisme-léninisme dans la lutte pour le socialisme au Canada. Travailler dans un véritable esprit d’unité, c’est faire en sorte que le plus grand nombre de ces éléments soient bientôt fermement engagés dans la lutte pour le parti, dans la lutte pour la jonction avec le mouvement ouvrier, dans la lutte révolutionnaire et les tâches actuelles qu’elle commande.
Nous partons donc de la constatation qu’il existe un mouvement marxiste-léniniste à l’échelle du Canada. Ce mouvement se compose de tous ceux qui adoptent le marxisme-léninisme et la pensée mao-zedong comme guide de leur action et qui travaillent à en acquérir la connaissance la plus complète; de ceux qui, en conséquence, luttent contre l’opportunisme sous toutes ses formes, contre le révisionnisme, le trotskysme et autres formes de l’idéologie bourgeoise présentes dans le mouvement ouvrier et parmi les marxistes-léninistes eux-mêmes.
Prenant appui sur le marxisme-léninisme, les communistes (m.-l.) canadiens, à l’encontre de tous les soi-disant partisans du socialisme qui prônent la collaboration de classe et la « démocratie pour tous » considèrent que la voie du socialisme, au Canada comme partout dans le monde, passe par la révolution prolétarienne, le renversement de la dictature bourgeoise, et par l’instauration de la dictature du prolétariat. Les communistes (m.-l.) canadien reconnaissent également le caractère international de la lutte pour le socialisme, que la révolution dans chaque pays est indissociable des conditions qui prévalent à l’échelle du monde; ils adhèrent totalement à l’internationalisme prolétarien.
En pratique, le mouvement marxiste-léniniste. canadien reconnaît que dans notre pays la lutte pour le socialisme passe par le renversement du pouvoir d’État détenu par la bourgeoisie canadienne, lequel exigera l’élimination de toute domination impérialiste étrangère sur notre pays, et que cette lutte doit se mener principalement par l’ensemble du prolétariat canadien dirigé par son parti communiste (m.-l.) et il affirme le droit à l’autodétermination de la nation québécoise, y compris le droit à la sécession et les droits nationaux des minorités inuits et amérindiennes, et que les femmes du peuple combattent contre leur oppression en s’associant tout à fait à la lutte révolutionnaire.
Au plan international, les marxistes-léninistes canadiens considèrent que la lutte pour un nouvel ordre social est principalement le fait en ce moment des pays en développement, le tiers-monde; que l’obstacle principal à la révolution est représenté par les super-puissances, l’impérialisme américain et le social-impérialisme soviétique qui constituent le premier monde et dont les rivalités s’aiguisent dans la lutte qui les oppose pour l’hégémonie. Ils considèrent également que les super-puissances font peser un grave danger d’une nouvelle guerre mondiale sur tous les peuples du monde, que ceux-ci doivent en être conscients et favoriser l’isolement des super-puissances en recherchant le rapprochement des pays du tiers monde et du second monde, c’est-à-dire les pays capitalistes avancés, dans une résistance commune à la mainmise et aux tentatives de mainmise des super-puissances sur les autres pays . Ils considèrent ainsi que la lutte pour le socialisme à l’échelle du monde passe aujourd’hui par la lutte contre l’impérialisme et le social-impérialisme, le colonialisme et l’hégémonisme et contre le révisionnisme.
Dans les conditions actuelles, les marxistes-léninistes canadiens affirment que leur tâche principale est l’édification du parti prolétarien, marxiste-léniniste, que dans ce but, il faut développer l’agitation, la propagande et l’organisation communistes, travailler à l’unité du prolétariat et du peuple des diverses nations et minorités nationales dans la lutte qui les oppose à la bourgeoisie canadienne et à son État, en ralliant les femmes du peuple à la lutte pour le socialisme et prenant l’initiative du combat pour la sauvegarde de la souveraineté nationale du Canada et du soutien aux luttes contre l’impérialisme, le colonialisme et l’hégémonisme partout dans le monde.
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Voilà ce qui, à nos yeux, caractérise le mouvement marxiste-léniniste canadien à l’heure actuelle. Voilà ce qui le démarque nettement du réformisme, du révisionnisme, du trotskysme et de tous les courants fondamentalement opportunistes dominés par l’idéologie bourgeoise. Voila donc, par le fait même, ce qui constitue le niveau actuel de l’unité des marxistes-léninistes canadiens. Malgré leur unité sur les principes fondamentaux qui doivent guider leur action, les communistes (m.-l.) canadiens demeurent divisés sur bien des points essentiels de ligne politique. Une ligne idéologique fondamentalement juste ne se traduit pas automatiquement en une ligne politique juste. C’est que l’application des principes marxistes-léninistes à la révolution canadienne n’est pas une chose qui va de soi : pour y arriver, les communistes (m.-l.) ont à se débarrasser de toutes les manifestations d’opportunisme qui imprègnent encore leurs conceptions et entravent leur action. Ce sont ces survivances de l’opportunisme ou de l’idéologie bourgeoise dans les rangs même du mouvement qui fondent les divergences politiques qu’on y rencontre.
Gardons-nous bien, soit dit en passant, de penser que cette dernière affirmation signifie qu’une organisation ou un groupe a la ligne prolétarienne et que les autres groupes ou organisations constituent un ramassis d’opportunistes. Ce point de vue, qui est celui de la Ligue qui ne cesse d’affirmer « sa ligne juste », est tout à fait étranger au marxisme-léninisme. Non, affirmer que la ligne prolétarienne rencontre l’opportunisme sur son chemin au sein même du mouvement, c’est reconnaître que la loi générale des contraires agit au sein du mouvement pris dans son ensemble. Et si on voulait aller plus loin, on devrait dire qu’elle agit également au sein de chacun des groupes, cercles et organisations qui composent le mouvement.
En ce moment, il est indéniable que le mouvement est considérablement plus développé, quantitativement et qualitativement, au Québec qu’au Canada anglais. Cela tient au fait qu au cours des quinze dernières années, c’est principalement au Québec que les luttes politiques ont été les plus vives avec la « renaissance » du mouvement nationaliste. D’abord gagnées à l’idée de la lutte pour l’indépendance nationale du Québec comme moyen de parvenir au socialisme, les forces progressistes ont cependant dû se rendre à l’évidence, face à l’évolution même du mouvement indépendantiste, que le nationalisme bourgeois débouchait sur un ·cul-de-sac et qu’ il ne pouvait être question de se placer sous sa direction même de façon tactique. Cette situation favorisa grandement l’émergence à l’aube des années 70 d’un important mouvement progressiste au Québec qui, sans se placer alors sur des positions marxistes-léninistes, devait progressivement y parvenir. C’est ainsi que devait se faire jour et finalement triompher une position marxiste-léniniste sur la question nationale québécoise, position aujourd’hui partagée par tous les groupes au Québec.
Au Canada anglais, les choses se passèrent assez différemment. D’une part, le P.C.C. révisionniste y est demeuré une force politique plus importante qu’au Québec. La démission de Jack Scott et la création du P.W.M. eurent donc beaucoup plus d’effet au Canada anglais qu ‘au Québec. Cependant le P.W.M. n’opère pas une véritable rupture avec le révisionnisme ; sous-estimant la lutte politique et la question du parti, il devait finir par se désagréger tout à fait, pour faire place à un grand nombre de « groupes d’étude » entièrement absorbés par le travail théorique et plutôt absents des luttes du prolétariat et des masses, si ce n’est que certains de leurs membres s’intéressaient de près à la lutte pour la canadianisation des syndicats affiliés aux unions américaines et que d’autres frayaient avec le courant « Waffle » du N.P.D.
Ce mouvement de repli dans le travail théorique, qui conduisit au localisme et à l’économisme, fut grandement influencé par les effets essentiellement négatifs de l’action contre-révolutionnaire des Internationalistes et du P .C.C. (m.-l.) d’Hardial Bains qui un jour avait décidé qu’il serait le Mao Zedong non seulement de l’Inde, de l’Irlande et de l’Angleterre, mais aussi du Canada et peut-être même de toute l’Amérique. Créant autant d’organisations qu’ il tint d’assemblées à travers le Canada, il en arrive finalement à créer son parti dans lequel il réussit malheureusement à entraîner toute une couche d’étudiants progressistes. Prenant conscience de la supercherie dont ils avaient été victimes, ces militants sortirent de l’aventure plutôt méfiants à l’égard de tout ce qui s’appelait organisation, de tous ceux qui préconisaient la création du parti, et allèrent grossir les rangs des « groupes d’étude ».
Malgré ces différences dans les origines du mouvement au Canada anglais et au Québec, il est remarquable que dans les deux cas, c’est sur le terrain de la « question nationale » que les forces progressistes se sont constituées. Au Canada, c’est la conscience de la domination américaine, de la mainmise de l’impérialisme U.S. sur notre pays qui fut d’abord acquis ; au Québec l’oppression nationale servit de catalyseur. Ce n’est que depuis deux ans à peine que l’ensemble du mouvement marxiste-léniniste canadien reconnaît que la lutte pour le socialisme passe au Canada par la révolution prolétarienne et non par la lutte de libération nationale ou bien du Québec ou bien du Canada.
Il est vrai que le mouvement marxiste-léniniste est moins avancé au Canada anglais qu ‘au Québec. La plupart des groupes, study groups ou collectives, canadiens-anglais sont de formation plutôt récente, leur ligne politique est en général moins développée et surtout leur liaison au mouvement ouvrier, par le moyen de l’agitation-propagande, est à peine amorcée. Les camarades canadiens-anglais sont tout a fait conscients de cette situation et ils manifestent la plus grande soif de connaître les développements théoriques et pratiques réalisés au Québec afin d’en partager les acquis. Déjà ils ont fait la preuve de leur engagement dans la lutte, ne serait-ce, par exemple, que par l’empressement avec lequel ils se sont emparés des acquis de la lutte contre l’économisme amorcée au Québec au cours du débat qui a entouré la dissolution du C.S.L.O. à l’été 1975. Ils l’ont encore manifesté en mettant sur pied la revue CANADIAN REVOLUTION en mai 1975, dans les pages de laquelle ils ont accordé une large place aux textes des groupes québécois. Dernier exemple : au printemps dernier deux groupes (collectives) de Toronto ont rallié les rangs l’un de la Ligue, l’autre d’EN LUTTE!
Mais en général, si le niveau des groupes canadiens-anglais est moins élevé que celui de certains· groupes québécois, il s’en trouve parmi eux qui comptent dans leurs rangs des militants ayant une longue expérience et susceptibles de prendre rapidement une part active dans le développement du travail révolutionnaire au Canada. Le caractère plus aigu de la lutte contre le révisionnisme du P.C.C. (r.) au Canada anglais autant qu’au Québec fait que beaucoup de camarades des provinces anglaises ont une meilleure connaissance de l’histoire du mouvement ouvrier et qu’ils réunissent des acquis importants tirés de la lutte contre le révisionnisme et aussi contre le trotskysme et la social-démocratie.
Et quoi qu’il en soit finalement de l’avancement plus ou moins grand du mouvement au Canada anglais, il reste que c’est ce mouvement tel qu’il est aujourd’hui qui devra demain constituer le noyau de ceux qui amorcent un véritable travail communiste au Canada-anglais. Tout comme le mouvement marxiste-léniniste au Québec aujourd’hui est le produit des « éléments confus » d’hier! A moins qu ‘on envisage que les communistes (m.-l.) québécois aillent « s’implanter » au Canada anglais...
Le fait que le mouvement marxiste-léniniste ait des origines différentes au Québec et au Canada, le fait que le P.C.C. (r.) n’ait jamais réussi à unir solidement les communistes des deux nations, le fait que jusqu’ici la bourgeoisie ait réussi et réussisse encore à diviser le prolétariat canadien sur le terrain national, tout cela manifeste la profondeur du problème et indique la nécessité de l’aborder avec la plus grande rigueur. Les marxistes-léninistes ne sont pas à l’abri du poids de l’idéologie bourgeoise en cette matière. La difficulté même avec laquelle les groupes québécois sont parvenus à une position marxiste-léniniste sur ce point en est d’ailleurs une preuve convaincante.
Face aux inégalités de développement qui existent au sein du mouvement marxiste-léniniste canadien, face en particulier au fait que ces inégalités recoupent des différences nationales, la question de l’unité prend un relief encore plus important ; la nécessité d’une organisation canadienne dans sa composition et dans son action apparaît encore plus clairement.
** L’organisation à créer n’est pas le parti
L’unité est une préoccupation permanente des marxistes-léninistes. Dès qu’est posée la question du parti, se pose celle de l’unité. Depuis quelques années déjà, les marxistes-léninistes canadiens sont engagés dans la lutte pour l’édification du parti, dans la lutte, en d’autres termes, pour leur unité politique, pour leur unification organisationnelle. Mais c’est à l’automne 1974 que sera formulé clairement pour la première fois l’appel à la création de organisation marxiste-léniniste, d’abord par le Mouvement révolutionnaire des étudiants du Québec,. M.R.E.Q., puis par un certain nombre d’autres groupes québécois dont EN LUTTE! Cet appel généralisé reflétait, en fait, la volonté de la grande majorité des marxistes-léninistes du Québec de dépasser tout à fait l’étape artisanale des cercles et des noyaux.
Mais pourquoi préconiser la création d’une organisation et non celle du parti? Quelle différence convient-il d’établir entre les deux? Cette question n’a jamais été vraiment clarifiée jusqu’ici et il en résulte beaucoup de confusion et bien des ambiguïtés. Par exemple, on a souvent posé la question de savoir pourquoi EN LUTTE! continuait de s’appeler un « groupe » et non une « organisation » et quelle était cette organisation dont nous parlions et en quoi elle se distinguait du « groupe » actuel et du parti à venir.
En fait, EN LUTTE! n’est plus un « groupe » au sens strict du terme. Avec son développement depuis l’automne 74, notre groupe a dû se donner des structures plus complexes et il a développé et diversifié ses pratiques, si bien qu’il réunit les caractéristiques courantes d’une organisation. Cependant, nous avons maintenu l’appellation de groupe pour la bonne raison qu’EN LUTTE! ne constitue pas l’organisation pour la création de laquelle nous avions lancé l’appel en décembre 1974 dans Créons l’organisation marxiste-léniniste de lutte pour le parti. C’est d’ailleurs pour des raisons semblables que nous ne reconnaissons pas la L.C. (m.-l.)C. comme l’organisation canadienne de lutte pour le parti. Concrètement, on peut dire qu’EN LUTTE! et la Ligue sont deux organisations, mais aucune des deux ne s’est constituée en pratique comme le centre dirigeant de lutte pour le parti au Canada. Or, c’est dans ce sens que nous réservions l’appellation d’organisation et dans les conditions actuelles nous croyons qu’il est toujours justifié de maintenir ce point de vue.
Il convient donc de mieux définir cette organisation de lutte pour le parti, qui se distingue âu parti pour la création duquel luttent les communistes (m.-l.), et aussi des groupes et organisations existants. Disons d’abord que le parti est l’organisation de direction de la lutte révolutionnaire du prolétariat qui regroupe l’avant-garde communiste de celui-ci et tous les communistes (m.-l.) d’un pays. Il ne peut y avoir qu’un seul parti dans un pays sous peine de compromettre le développement de la lutte révolutionnaire en raison des divisions qui résulteraient dans le prolétariat et les masses de l’existence de plus d’un parti, divisions non seulement organisationnelles mais également politiques, stratégiques et tactiques. Pour cela, le parti ne peut exister que s’il a un programme qui lui permette par sa justesse et son développement d’offrir une telle direction. Une fois le parti créé, il est du devoir de tout marxiste-léniniste de s’y rallier.
Ce qui constitue la caractéristique essentielle du parti marxiste-léniniste, c’est qu’il constitue la direction de la lutte révolutionnaire du prolétariat et des masses. Cela signifie que la parti réunit tous les communistes (m.-l.) ; qu’il est intimement lié aux masses principalement parce qu’il compte l’avant-garde du prolétariat dans ses rangs ; finalement qu’ il a un programme fidèle au marxisme-léninisme et suffisamment développé pour effectivement diriger le prolétariat et les masses dans les luttes qui les opposent sans cesse à la bourgeoisie et à son État.
Tout cela montre l’importance capitale que revêt la création du parti. Il faut être grandement dépourvu du sens des responsabilités pour avancer qu’on peut procéder à la création du parti, comme cela, un bon jour, parce qu’on se sent prêt et qu’on n’a pas à « attendre » tout le monde! En d’autres termes, la création du parti correspond à des conditions objectives qui doivent se trouver réalisées dans les faits; ce n’est pas une simple affaire de volonté ou d’opportunité! Créer le parti, ce n’est pas adopter un nouveau nom.
Cela nous amène directement à notre propos. L’organisation qu’il nous faut en ce moment, c’est l’organisation capable de réunir les conditions de création du parti. Cela est une question de principe et une question d’analyse concrète de la situation concrète. C’est une question de principe en ce sens que pour arriver au parti il faut élaborer le programme du parti, se ber aux. masses et réaliser l’unité de tous les communistes (m.-l.) canadiens. C’est une question d’analyse de la situation concrète au sens où les moyens que nous mettrons de l’avant pour arriver au parti seront justes dans la mesure où ils correspondront à la situation actuelle, car mener la lutte pour le parti, c’est lutter pour transformer la situation on présente où le parti n’existe pas, où les communistes (m.-l.) sont désunis, faibles politiquement et organisationnellement.
C’est précisément cette situation de faiblesse politique et organisationnelle et de division des divers groupes et organisations qui composent le mouvement marxiste-léniniste canadien qui conduit à la conclusion que dans notre pays, la lutte pour le parti, un parti qui remplisse les conditions énumérées plus haut, passe par la création d’une organisation qui réunisse les marxistes-léninistes de toutes les régions du Canada. Car seule une telle organisation pourra développer le programme du parti et rassembler l’avant-garde de tout le prolétariat canadien, alors que les groupes et organisations existants ont généralement une vision étriquée de la réalité, leurs liens avec les masses sont forcément limités et leur organisation a généralement un caractère tout à fait artisanal.
L’organisation canadienne des marxistes-léninistes doit permettre de dépasser ces limites. Pour cela, elle devra cependant réunir certaines conditions dont la plus importante est son unité politique, une unité politique qui repose sur un programme qui soit le programme de l’organisation et engage la responsabilité de tous ses membres ; une unité politique qui soit garantie par l’unité organisationnelle, laquelle repose sur l’application rigoureuse du centralisme démocratique. L’organisation que nous préconisons n’est donc pas une espèce de fédération des groupes actuels où ceux-ci conserveraient une certaine autonomie et où ils pourraient faire valoir publiquement les divergences qu’ils entretiennent avec le programme adopté par le congrès de l’organisation. C’est d’ailleurs ainsi que les choses se passent dans tous les partis communistes (m.-l.): des divergences y existent toujours, la lutte de ligne s’y mène constamment, avec plus ou moins d’acuité, aux congrès la majorité décide des points litigieux et la minorité doit se rallier; entre les congrès, c’est la direction qui a la responsabilité de trancher sur toutes les questions relatives à l’application du programme suivant les décisions du congrès. Aucun parti jusqu’ici dans l’histoire n’a connu « l’absolue identité de vue » de tous ses membres sur toutes les questions idéologiques, stratégiques et tactiques. Cela n’est qu’un rêve d’idéaliste.
Le programme de l’organisation devra être fidèle au marxisme-léninisme, c’est-à-dire constituer l’application à la révolution canadienne des principes fondamentaux, ou de la ligne idéologique, du marxisme-léninisme; il devra être reconnu et appliqué, par tous ses membres. Mais il n’aura pas la qualité d’un programme de parti, en ce sens qu’ il ne formulera pas nécessairement toutes les revendications essentielles des masses canadiennes dans l’étape actuelle de la révolution et qu’il n’indiquera pas nécessairement non plus tous les moyens à mettre en œuvre pour faire progresser la lutte révolutionnaire dans notre pays. Compte tenu du niveau de développement actuel du mouvement il devra cependant comporter les trois éléments principaux suivants: premièrement, formuler la voie de la révolution dans notre pays, ce qui inclut la détermination de la principale contradiction à résoudre à l’étape actuelle parmi toutes celles auxquelles la lutte pour le socialisme doit s’attaquer; deuxièmement se prononcer sur la situation générale qui prévaut à l’échelle internationale et indiquer les tâches qui en découlent pour les marxistes-léninistes de notre pays ; troisièmement, définir la voie de l’édification du parti prolétarien au Canada et les tâches des communistes à cet égard.
C’est à un tel niveau que nous situons l’unité politique nécessaire à l’unification organisationnelle des marxistes-léninistes à l’étape actuelle. Nous sommes bien conscients qu’une telle unité n’existe pas, qu’elle reste à construire. Pour cela, il faudra que sur chacun des points mentionnés plus haut, les diverses positions s’expriment avec clarté afin que tous les marxistes-léninistes puissent se former une opinion et prendre position. c’est ici qu’intervient la lutte pour « se démarquer »: sans une telle démarcation, toute unité réelle est impossible.
A cet égard, notre groupe doit reconnaitre la faiblesse de son action au cours des derniers mois, son silence prolongé sur certaines questions fondamentales, telle la voie de la révolution dans notre pays, telle la méthode marxiste-léniniste de faire l’unité, telle la position des communistes (m.-l.) canadiens sur les questions internationales... Nous n’avons pas été silencieux sur ces questions bien sûr, mais nous n’avons pas manifesté un souci assez grand de faire apparaître les différences entre nos positions et celles d’autres groupes ou organisations. en particulier celles de la Ligue. Nous avons pu ainsi contribuer par notre silence à accréditer le point de vue suivant lequel la Ligue avait tout dit ce qu’il il y avait à dire sur les questions fondamentales. Nous devons corriger cette erreur. Comme tous les communistes (m.-l.) du pays, nous avons l’obligation d’intervenir, de présenter notre point de vue, de le défendre. Car il reste encore bien des questions sur lesquelles une position marxiste-léniniste est loin d’être clairement établie à ce jour, à commencer par la voie de la révolution dans notre pays.
* II. La lutte pour l’unité dans le mouvement marxiste-léniniste canadien
Nous avons indiqué ce qui constitue, à notre sens, la ligne idéologique qui délimite le mouvement. A nos yeux font partie de ce mouvement tous ceux qui reconnaissent cette ligne et en font la base de leur action. Malgré que cette base idéologique commune à tous les marxistes-léninistes canadiens constitue un puissant facteur d’unité qui les démarque nettement du révisionnisme, de la social-démocratie, du trotskysme et de toutes les formes d’opportunisme, il n’en reste pas moins que d’importantes divergences subsistent. Car une telle ligne idéologique ne prémunit personne contre les erreurs, des erreurs qui peuvent même être très importantes.
Voilà donc identifiés les deux pôles de la contradiction: d’une part, le mouvement marxiste-léniniste canadien trouve son unité dans une ligne idéologique fondamentalement marxiste-léniniste et commune à tous les éléments qui le compose; d’autre part, quand il s’agit d’appliquer cette ligne idéologique à la pratique de la révolution prolétarienne au Canada, des divergences apparaissent, la ligne prolétarienne rencontre de nombreuses survivances de l’opportunisme.
La voie vers l’unité des marxistes-léninistes canadiens s’en trouve ainsi toute tracée au niveau de son orientation générale. Il s’agit, d’une part, de favoriser le développement des facteurs d’unité; pour cela, il faut sur la base des principes marxistes-léninistes qui unissent le mouvement, s’appliquer à bâtir la ligne politique et le programme de la révolution prolétarienne en établissant scientifiquement, suivant le matérialisme dialectique et le matérialisme historique, de justes positions sur les questions fondamentales de la révolution dans notre pays. Il s’agit, d’autre part, de mener une lutte résolue contre les points de vue et les gestes opportunistes qui persistent dans le mouvement, y compris sur la question de l’unité. Comme on peut le voir, ce sont là les deux aspects d’un même mouvement que Mao Zedong a formulés dans les termes « le marxisme se développe dans la lutte contre ce qui est anti-marxiste ».
Quand il s’agit de réaliser un objectif, il est essentiel de bien établir d’où l’on part. En ce qui a trait à l’unité des marxistes-léninistes canadiens nous partons de la réalité du mouvement marxiste-léniniste qui se définit par le niveau d’unité exprimé dans les critères exposés précédemment. Ces critères expriment donc le niveau d’unité actuel; c’est donc à partir de là que nous devons entreprendre de construire une unité plus grande, laquelle devra trouver à s’exprimer dans le dans le programme qu’adoptera l’organisation canadienne. Ce programme et l’organisation qui l’adoptera exprimeront un nouveau niveau d’unité qualitativement supérieur au niveau actuel. Il va de soi que pour passer de la situation actuelle, alors que l’unité politique du mouvement est encore faible et que la désunion organisationnelle domine nettement, à la situation recherchée où l’unité politique sera considérablement plus grande et où la désunion organisationnelle aura été vaincue, il va de soi que pour réaliser cet objectif une lutte de ligne importante est à prévoir sur plusieurs questions fondamentales. C’est de cette lutte de lignes, disons-nous, que la ligne marxiste-léniniste pour la révolution prolétarienne au Canada sortira plus développée, plus claire et plus solidement établie; ce sont les défenseurs les plus conséquents de cette ligne qui devront assumer la direction du mouvement et se trouveront ainsi habilités à le guider vers la création de l’organisation.
Nous avons bien conscience, disant cela, que nous sommes déjà engagés sur un des terrains où se mènera la lutte de lignes, car nous savons que notre position sur l’unité des marxistes-léninistes n’est pas partagée par l’ensemble du mouvement. Nous savons bien également que c’est principalement la Ligue, et maintenant Mobilisation, qui condamne notre point de vue le considérant « opportuniste ». Cette situation constitue un aspect essentiel de la réalité actuelle du mouvement marxiste-léniniste canadien, c’est-à-dire sa polarisation.
En effet, d’un côté on voit des cercles et des groupes se rapprocher visiblement de la Ligue qui leur paraît l’organisation qui peut le mieux les faire avancer dans la voie de la lutte pour le parti et pour la révolution prolétarienne au Canada. Cette tendance est particulièrement marquée au Québec parmi les groupes, tels Mobilisation et l’A.P.L.Q., qui sont le plus longtemps demeurés sous l’influence dominante du bastion de l’opportunisme de droite au Québec, le Regroupement des comités de travailleurs, R.C.T., qui s’est dissous l’année dernière. Ce phénomène mérite d’être signalé, car il se situe dans le prolongement direct de l’attitude de total rejet que, de 1972 à 1975, ces groupes, R.C.T., A.P.L.Q., Mobilisation, N.P.E. (Noyau des petites entreprises aujourd’hui devenu le Cercle Communiste (m.-l.)), le C.R.I.Q. devenu le G.A.S. ont invariablement affichée — au sens littéral du terme — à l’endroit d’EN LUTTE! Renouant aujourd’hui avec le marxisme-léninisme, il semble bien que leur aversion pour EN LUTTE!, elle, demeure invincible pour la majorité d’entre eux, même s’ ils sont forcés de reconnaître qu’à l’époque où l’opportunisme dominait nettement le mouvement, soit les années 1972 à 1974, notre groupe a joué un rôle dirigeant dans la défense du marxisme-léninisme.
De l’autre côté, il y a notre groupe qui, en effet a souvent été à l’avant-garde de la lutte contre l’opportunisme depuis la parution de Pour le parti prolétarien en octobre 1972 . Ce fut d’abord la lutte contre l’opportunisme des C.A.P., puis du R.C.T. par l’affirmation de la nécessité du parti du prolétariat marxiste-léniniste et, pour arriver au parti, la nécessité de faire de l’agitation-propagande communiste dans les masses. Ce fut plus tard la lutte contre l’économisme qui de nouveau menaçait d’entraîner le mouvement dans l’opportunisme, avec la parution de notre brochure Contre l’économisme, dont les positions devaient être reprises à bien des égards par les groupes fondateurs de la Ligue comme en fait foi leur Document d’entente...
Chez un grand nombre de groupes, en particulier au Canada anglais, les positions et l’action d’EN LUTTE! depuis près de quatre ans suscitent un vif intérêt et plusieurs d’entre eux ont formellement exprimé leur désir de rallier nos rangs au cours des derniers mois. Malgré tout l’opportunisme qu’on nous prête si généreusement en matière d’unité, comme en bien d’autres, et malgré notre supposé empressement à rallier les « éléments confus » du Canada anglais (l’expression est de la Forge), ces groupes, tout comme ceux qui l’ont fait dans le passé, ne pourront s’unir à nous que si nous arrivons de part et d’autre à la conviction que nous partageons la même ligne sur toutes les questions fondamentales et aucune pression ne sera faite auprès d’eux pour hâter leur ralliement.
La polarisation du mouvement qui est en voie de s’opérer entre la Ligue et notre groupe, aura sans doute pour effet d’aiguiser la lutte de lignes au sein du mouvement et de favoriser une plus nette démarcation sur les questions fondamentales de ligne et de programme. Pour notre part, nous entendons bien exposer sans détours tous nos désaccords avec la Ligue, comme avec tout autre groupe. Dans les pages qui suivent, nous tâcherons justement, d’une part, de faire la critique de la conception de la Ligue sur l’unité et, d’autre part, la critique de nos propres erreurs en matière de lutte pour l’unité, tout en montrant que les accusations d’opportunisme que nous adresse la Ligue font également abstraction de l’histoire du mouvement telle qu’elle s’est déroulée dans la réalité.
** Le dogmatisme de la Ligue communiste (m.-l.) du Canada en matière d’unité masque une conception opportuniste
Depuis quelques mois maintenant, la Ligue s’emploie avec une constance remarquable à critiquer notre opportunisme en matière d’unité. Nous verrons plus loin que nous avons effectivement commis des erreurs opportunistes. Mais si les positions et les critiques de la Ligue paraissent s’appuyer solidement sur les principes à première vue, il arrive que leur fondement dans la réalité est souvent inexistant. Or, c’est précisément un principe du matérialisme dialectique que la résolution de toutes contradictions repose sur « l’analyse concrète de la situation concrète ».
L’automne dernier à Montréal, trois groupes marxistes-léninistes québécois fusionnaient et créaient la Ligue. Il devait s’avérer par la suite, malgré les dénégations de la Ligue, que celle-ci n’était pas n’importe quelle organisation, mais l’organisation de direction des marxistes-léninistes canadiens dans leur lutte pour le parti. C’est ce que nous avons clairement démontré dans notre récente brochure Contre le sectarisme de la L.C. (m.-l.)C.
Mais ne devrait-on pas se réjouir de l’existence d’un tel centre dirigeant dans la lutte pour le parti? N’est-ce pas l’objectif de tous les marxistes-léninistes canadiens de parvenir au parti et, pour cela, de pouvoir compter sur une organisation qui en dirige l’édification? Bien sûr, tous les marxistes-léninistes désirent la création du parti; bien sûr, une majorité d’entre eux considèrent que pour y arriver il faut une organisation. Mais le fait est que, malgré ses prétentions — et ce n’est pas cela qui lui fait défaut — la Ligue ne mérite pas le titre de centre dirigeant dans la lutte pour le parti. Bien au contraire, si elle persiste dans la voie qui est la sienne en ce moment, la Ligue risque de devenir un frein important à l’unité des marxistes-léninistes et de retarder ainsi la création du parti.
Évidemment, la Ligue pourrait bien annoncer la création du « parti » la semaine prochaine, dans trois mois ou dans six, si elle allait adopter le point de vue de Mobilisation qui écrit: « Il est certain que pour créer le parti, nous ne pouvons attendre que tous se soient prononcés, que tous aient rallié l’organisation marxiste-léniniste, que tous soient prêts à passer à cette étape. » [2] La Ligue pourrait bien agir ainsi, d’autant plus qu’elle ne ferait là que répéter l’erreur qu’a été en novembre 75 son « auto-proclamation » comme l’organisation canadienne de lutte pour le parti, « auto-proclamation » de fait, sinon en paroles.
Il faut un grand mépris du mouvement marxiste-léniniste et des couches avancées des masses populaires pour affirmer que pour « créer le Parti nous ne pouvons pas attendre que tous se soient prononcés... » comme le fait Mobilisation. Et que désigne ce « nous » et qui désigne ce « tous »? Ce mépris témoigne sans doute d’une grande ignorance de la réalité du mouvement, mais il révèle aussi une profonde méconnaissance ou, en tout cas, l’abandon total du principe formulé par Lénine: « créer et affermir le parti, c’est créer et affermir l’union de tous les social-démocrates russes ». Pour Mobilisation, créer le parti, c’est consolider la Ligue qui pourra se déclarer parti quand bon lui semblera... les autres marxistes-léninistes, les retardataires n’étant pas « prêts à passer à cette étape »! Le jour où ils le seront, ils pourront toujours... créer « leur » parti eux aussi, et ainsi de suite, car il n’est pas dit que la Ligue arrivera un jour à convaincre tous les marxistes-léninistes que sa ligne est aussi « juste » qu’elle prétend. Les chances sont plutôt qu’on lui découvre des failles importantes sur des points majeurs. Et de nouveau s’amènera le groupe, puis l’organisation qui aura la « ligne juste » et qui pour cette raison, se proclamera, à son tour parti. S’il s’agit d’un parti qui s’est créé sans attendre ceux qui ne seront « pas prêts », on voit à quoi cela peut nous mener!
La ligne de la Ligue et de Mobilisation sur l’édification du parti et sur l’unité des marxistes-léninistes est erronée: elle va tout à fait à l’encontre du marxisme-léninisme sur ce plan. Elle ne conduit pas à l’unité mais à la scission, elle ne conduit pas au parti mais à la multiplication des organisations et éventuellement des partis tous retranchés derrière leur « ligne juste ». La ligne de la Ligue et de Mobilisation sur l’édification du parti n’est pas léniniste.
La position erronée de la Ligue en matière d’unité et, en conséquence, sa ligne également erronée sur l’édification du parti découle d’une application mécanique, subjectiviste du principe suivant lequel « la ligne idéologique et politique est déterminante en tout », une application mécanique qui l’amène à rejeter en pratique les enseignements formulés par Lénine, à savoir que « créer et affermir le parti, c’est créer et affermir l’union » des marxistes-léninistes et que « avant de s’unir et pour s’unir, il faut se démarquer ».
En d’autres termes, la ligne marxiste-léniniste qui doit guider le travail des communistes à toute étape de la lutte et sur toute question, ne s’établit pas sur la base de la conviction que peut avoir une tendance ou une autre, une organisation ou une autre, d’avoir la « ligne juste ».
Non, la ligne marxiste-léniniste, la juste application des principes dans une situation donnée ne peut être que le résultat de la lutte, lutte contre les erreurs et les déviations, lutte contre l’opportunisme.. C’est dans le cours même de cette lutte que la vérité se fera jour, que la ligne marxiste-léniniste triomphera de l’opportunisme et du révisionnisme. C’est cette même lutte qui révélera qui le mouvement doit reconnaitre comme son centre dirigeant: il le fera en raison de la direction juste offerte par ce groupe ou cette organisation.
Si aujourd’hui nous disons que la proclamation de la Ligue comme « centre dirigeant » du mouvement a été une erreur, si nous disons que la proclamation du parti par la Ligue dans les conditions présentes serait une erreur encore plus désastreuse, c’est justement que la lutte de ligne n’a pas été menée à terme au sein du mouvement sur toutes les questions de fond. Ni sur la voie de la révolution prolétarienne au Canada, ni sur les questions internationales, ni sur les tâches des communistes à l’étape actuelle, ni sur la question du parti et de l’unité des marxistes-léninistes la Ligue n’a établi la justesse de ses positions et le caractère erroné des positions divergentes qui ont cours dans le mouvement. En d’autres termes, la Ligue ne s’est pas « démarquée ». Comment peut-elle considérer qu’il est juste de sa part d’appeler le mouvement marxiste-léniniste entier à se rallier à elle pour faire avancer l’édification du parti? Comment peut-elle considérer qu’elle n’a qu’à affirmer qu »elle a la « ligne juste » pour que le mouvement en soit convaincu?
Il arrive qu’au sein de ce mouvement marxiste-léniniste tel qu’il existait à l’automne 1975, au moment de la création de la Ligue tout comme aujourd’hui en septembre 1976, la lutte pour se démarquer sur toutes les questions fondamentales de la révolution canadienne n’a pas abouti, n’a pas atteint un niveau tel que chaque élément, organisations, groupes, noyaux, cercles... qui compose le mouvement n’est pas en mesure de prendre clairement partie en connaissance de cause. Nous considérons pour notre part que dans de telles conditions la lutte pour se démarquer doit se poursuivre, les différentes positions doivent être exposées avec plus de clarté et de rigueur, si bien que tous puissent se former une opinion. Nous considérons que dans de telles conditions, le principe formulé par Lénine, « avant de s’unir et pour s’unir, il faut se démarquer », doit trouver son application la plus rigoureuse. C’est là une condition essentielle à l’unité des marxistes-léninistes canadiens. La Ligue répétons-le, n’arrivera à rien en cette matière du seul fait qu’elle persistera à affirmer qu’elle a la « ligne juste »... sinon qu ‘à se rendre ridicule aux yeux d’un fraction toujours plus grande du mouvement.
Par exemple, la Ligue prétend qu’affirmer l’existence d’une alliance entre la bourgeoisie canadienne et l’impérialisme américain, c’est ne pas comprendre la théorie des trois mondes. Nous affirmons, quant à nous, que cette alliance existe dans les faits, dans la réalité économique, politique, militaire, qu’elle est évidente pour quiconque aborde l’étude de la question sans préjugés, de façon matérialiste dialectique et non subjectiviste et idéaliste. Nous affirmons de plus que cette alliance ne contredit pas la théorie des trois mondes, laquelle ne comporte pas, bien au contraire, l’affirmation que tous les pays du second monde entretiennent chacun les mêmes rapports avec les deux superpuissances. Nier l’alliance entre l’impérialisme américain et la bourgeoisie canadienne, c’est fausser la réalité au nom des principes et c’est déformer les principes.
On pourrait donner de nombreux autres exemples du même type où certains marxistes-léninistes canadiens, et ceux de la Ligue tout particulièrement, confondent la ligne idéologique, c’est-à-dire la base de principes sur laquelle ils doivent fonder leur analyse de la situation et leur action, avec la ligne politique, c’est-à-dire l’application qu’il faut faire de ces principes dans la situation dans laquelle on se trouve. Et à ceux qui contestent leur façon de voir, ces marxistes-léninistes répondront invariablement que « la ligne idéologique et politique est déterminante en tout », rejetant par le fait même le principe de base du matérialisme dialectique suivant lequel la solution de toute question se trouve dans « l’analyse concrète de la situation concrète ». Autrement dit, nous ne rejetons pas le principe « la ligne idéologique et politique est déterminante en tout », bien au contraire. Nous considérons que notre action sera juste dans la mesure où nous nous appuierons sur une ligne marxiste-léniniste et que pour élaborer cette ligne nous devons appliquer le matérialisme dialectique et non l’idéalisme ou le subjectivisme !
Ainsi, la première condition à la création de l’organisation canadienne n’est pas satisfaite à ce jour: la lutte pour se démarquer au sein du mouvement n’est pas parvenue à terme; elle n’a pas été suffisamment poussée pour faire apparaître clairement les divergences, pour résoudre les contradictions majeures. Il s’ensuit que le mouvement dans son ensemble n’est pas en mesure de prendre position en toute connaissance de cause. On peut le regretter, on peut regretter cette situation où la confusion est encore grande. Mais ce n’est pas en brûlant les étapes, en décrétant qu’on a la « ligne juste » et qu’ on est le « centre dirigeant » du mouvement qu’on va mettre un terme à la confusion : on ne fera, au contraire, que semer la division et nuire à l’unité des marxistes-léninistes. Or, il ne faudrait pas l’oublier, cela est précisément notre objectif, un objectif essentiel à la création du parti.
La Ligue n’est pas en désaccord avec le principe « avant de s’unir et pour s’unir, il faut se démarquer ». Mais elle en fait une application si localiste, si limitée si étroite qu’en pratique elle en fausse toute la portée. Ainsi, elle dira que la Ligue a été créée de façon juste, parce que les trois groupes qui l’ont fondée se sont mis d’accord et qu’ils avaient, chacun, lancé l’appel à la création de l’organisation un an plus tôt ou presque. Aujourd’hui, elle se comporte comme le centre dirigeant du mouvement parce qu’elle a exposé sa « ligne juste » dans son Document d’entente... et qu’elle a fait 3 ou 4 articles ou brochures pour dénoncer les positions d’EN LUTTE! sur la contradiction principale, sur les questions internationales, sur l’unité.
D’une part, est-ce que les groupes fondateurs de la Ligue se sont préoccupés, avant de fonder celle-ci, d’établir leurs positions sur des bases scientifiques rigoureuses? Est-ce qu’ils se sont préoccupés par une propagande à l’échelle du mouvement, dans l’ensemble du pays, de démontrer scientifiquement le caractère erroné de positions qu’ils rejetaient? Est-ce qu’ ils se sont appliqués à faire connaître la ligne sur laquelle ils entendaient réaliser l’unité des marxistes-léninistes canadiens? Pas du tout. C’est pourquoi nous maintenons que la Ligue s’est créée à l’insu du mouvement marxiste-léniniste. Affirmer le contraire, c’est affirmer qu’en novembre 1975 le mouvement marxiste-léniniste se limitait aux trois groupes fondateurs, car, à notre connaissance, personne d’autre qu’eux ne connaissait leur décision de créer la Ligue avant que celle-ci ne fut annoncée. La création de la Ligue a été marquée par le plus grand sectarisme, dans l’ignorance totale du reste du mouvement marxiste-léniniste canadien. Les groupes fondateurs de la Ligue se sont démarqués entre eux pour finalement se mettre d’accord. Fort bien, mais la démarcation par rapport à l’ensemble du mouvement, elle ne devait venir qu’après la création de la Ligue. Cela constitue une forme avancée de localisme et d’étroitesse.
D’autre part, la Ligue affirme aujourd’hui avoir la « ligne juste » et sur cette base elle entend agir comme le centre dirigeant de la lutte pour le parti. Voilà le rôle qu’elle s’est décerné d’elle-même. A-t-elle seulement attendu de recueillir les critiques du mouvement sur ses positions? A-t-elle travaillé sérieusement à fonder celles-ci de façon scientifique? A-t-elle fait la critique rigoureuse, concrète, des autres points de vue qui ont cours dans le mouvement? Pas le moins du monde. La Ligue n’a pas ajouté une once de démonstration concrète à ses positions fondamentales contenues dans le Document d’entente... depuis la publication de celui-ci en novembre 1975. Tout ce qu’elle a fait c’est d’en répéter certains chapitres, certains passages, sans tenir le moindrement compte des critiques qui lui étaient faites, des objections qui étaient soulevées. Encore là c’est le sectarisme et le subjectivisme qui l’ont emporté. La Ligue a continué d’ignorer le mouvement marxiste-léniniste ; elle a continué d’agir comme si elle constituait à elle seule le mouvement, rejetant les autres groupes dans les gouffres de l’opportunisme ou les rangeant au niveau des « éléments confus » du Canada anglais!
Et c’est dans ces conditions que la Ligue ose s’afficher « centre dirigeant » du mouvement, comme l’organisation à la « ligne juste ». Bien sûr, si le mouvement, c’est la Ligue, il est facile pour la Ligue d’en être le « centre dirigeant « . Mais, il arrive que le mouvement, ce n’est pas seulement la Ligue. Et cela change tout.
La reconnaissance de la ligne marxiste-léniniste au sein du mouvement n’a rien à voir avec un quelconque acte de foi; les marxistes-léninistes canadiens n’ont pas a croire la Ligue ni personne d’autre sur parole. La justesse de la ligne politique est une question scientifique dont le critère ultime est la pratique. Or, la Ligue se comporte comme si du seul fait qu’elle puise largement dans les principes du marxisme-léninisme et reproduit studieusement les positions du Parti communiste chinois, l’application qu’elle en fait à la pratique de la révolution canadienne était nécessairement juste. C’est là une manifestation d’une conception erronée du rapport entre la théorie et la pratique, c’est une conception idéaliste et non pas matérialiste dialectique.
Ainsi, parce que les deux superpuissances sont à l’échelle du monde les principaux ennemis de la révolution, ils deviennent, selon la Ligue, deux ennemis au même titre du peuple canadien, avec lequel ils entrent en opposition, constituant ainsi la contradiction secondaire dans la voie de la révolution au Canada. Et que devient la réalité de l’alliance économique, politique et militaire de la bourgeoisie canadienne et de l’impérialisme américain dans ce contexte? La Ligue n’a fait aucune analyse concrète de cette situation... Ou plutôt si, elle en a amorcé une dans son Document d’entente... mais elle en a tellement faussé les conclusions en affirmant que ce sont les deux superpuissances qui exercent leur mainmise sur le Canada. Mis à part le cas exceptionnel de l’Allemagne, nous ne connaissons pas de telle situation nulle part au monde; si elle existe ailleurs qu’en Allemagne, d’ailleurs partagée entre deux États, ce n’est certainement pas au Canada !
Dans ce cas comme dans bien d’autres, la Ligue a une forte propension à se servir des principes du marxisme-léninisme comme d’un dogme auquel il faut faire correspondre la réalité coûte que coûte. C’est ainsi qu’au lieu de faire l’analyse concrète du mouvement marxiste-léniniste pour comprendre correctement la situation, le niveau de développement et les contradictions particulières, elle cherche plutôt à le modeler suivant ses conceptions dogmatiques et étroites. On a vu dans Contre le sectarisme de la L.C. (m.-l.)C. à quelle forme de « polémique » cela pouvait la conduire à l’endroit de Mobilisation et du Western Voice Collective. Ni l’un ni l’autre groupe ne faisait partie du mouvement marxiste-léniniste. Et le plus aberrant dans le cas de Mobilisation, c’est que ce groupe n’appartient pas au mouvement, non pas en raison de sa ligne opportuniste, mais plutôt en raison du « divorce « entre sa ligne politique et « la forme organisationnelle qu’elle prend » ! [3] Sur la nature du divorce en question cependant, la Ligue demeure muette...
Sous la plume d’une organisation comme la Ligue qui se plaît à répéter que « la ligne politique et idéologique est déterminante en tout », un tel raisonnement à de quoi surprendre. Tout comme cet autre raisonnement de la Ligue suivant lequel c’est du « pur opportunisme » de la part du May First Collective de prétendre contribuer aux débats du mouvement marxiste-léniniste puisque les propos de ce groupe ne sont que « jeux d’intellectuels »... « sans pratique dans la classe ouvrière! » [4] Ce langage ne nous est pas étranger puisque c’est exactement dans les mêmes termes que nos positions furent « accueillies » en 1972 et 1973 par le « secteur travail » des C.A.P. Saint-Jacques et Maisonneuve!
Comme quoi le dogmatisme et l’opportunisme font parfois bon ménage. Cela n’est pas sans raison: l’un et l’autre trouvent à s’alimenter dans le subjectivisme, qui est la négation du marxisme-léninisme. Il arrive souvent que le dogmatisme, ou le « doctrinarisme « suivant l’expression de Lénine, sert de masque à l’opportunisme de droite. Et c’est bien ce qui se produit dans le cas de la Ligue en ce qui concerne l’unité. Ardent défenseur des principes en paroles, refusant de reconnaître comme marxistes-léninistes à peu près tous ceux qui ne pensent pas comme elle, la Ligue fait flèche de tout bois pour dénigrer ses opposants, ainsi qu’elle l’a fait avec le projet d’association d’EN LUTTE! de 1974: un an plus tard, elle en faisait un scandale, une conspiration monstrueuse; ainsi qu’elle l’a fait tout récemment en critiquant un « texte interne » d’EN LUTTE! dont le contenu était inconnu de la grande majorité des lecteurs de son article...
C’est pourquoi s’il est juste de dire que l’opportuniste de droite demeure la principale déviation au sein du mouvement marxiste-léniniste, une déviation qui se manifeste dans tous les groupes et organisation, il n’en demeure pas moins vrai que le frein principal au développement de la lutte pour l’unité des communistes est aujourd’hui le sectarisme et le dogmatisme. Car tant et aussi longtemps qu’une fraction importante du mouvement demeurera sous l’emprise du dogmatisme et fera preuve de sectarisme, il sera très difficile, sinon impossible, de mener les débats de façon constructive. Tant et aussi longtemps qu’une fraction importante du mouvement se refusera à faire l’analyse concrète, scientifique, des questions litigieuses, il demeurera impossible de clarifier ces questions et d’extirper l’influence de l’idéologie bourgeoise des rangs du mouvement.
** L’unité, un objectif ancien de notre groupe
L’unité de la classe ouvrière sous la direction de son parti et, pour cela, l’unité de tous les éléments avancés du prolétariat, a toujours été un objectif central pour notre groupe. Si ce n’est qu’avec notre « manifeste » de décembre 1974 Créons l’organisation marxiste-léniniste de lutte pour le parti [5] que nous avons pour la première fois indiqué le cadre précis dans lequel nous envisagions l’unification des communistes, il n’en demeure pas moins que, pour quiconque voudra bien se donner la peine d’étudier notre littérature sans préjugés, c’est depuis sa naissance que notre groupe préconise l’unité des marxistes-léninistes et plus généralement des forces progressistes.
C’est faire preuve d’une grande légèreté que d’affirmer, comme l’a fait la L.C.(M.-L.)C qu’EN LUTTE! a constamment « viré son capot de bord » en matière d’unité. Nous avons fait des erreurs importantes et nous y revenons plus loin dans ce texte, mais la ligne fondamentale de notre groupe n’a pas varié sur ce point depuis nos origines. Il nous semble important aujourd’hui de rétablir les faits, car le mouvement marxiste-léniniste canadien est fort jeune et beaucoup de ses éléments en ignorent totalement les origines; dans un tel contexte des affirmations erronées peuvent facilement être prises pour fondées alors qu’elles ne le sont pas. De plus, la Ligue a une façon bien particulière de présenter l’histoire et d’analyser la réalité qui consiste à aligner une série de paroles ou de faits hors contexte, sans se préoccuper de voir l’ensemble des paroles ou des gestes, de les analyser pour en découvrir le sens réel. La Ligue fait très souvent preuve de subjectivisme et demeure à la surface des questions qu’elle aborde. Cela la conduit à confondre souvent la ligne d’un groupe sur une question et divers gestes particuliers, de confondre la ligne générale et les moyens employés pour l’appliquer. Elle ne semble pas comprendre que, la situation changeant, on peut être appelé dans l’application de la même ligne ou du même programme, à changer ses moyens.
Mao Zedong a fort bien exprimé ce point de vue dans De la pratique où il dit que la plupart du temps les théories, plans et projets élaborés par les hommes, doivent être modifiés par suite des transformations survenues dans les conditions mêmes auxquelles s’appliquent ces théories, plans et projets. Il ajoute même:
« S’il s’agit d’ un mouvement social, les véritables dirigeants révolutionnaires doivent non seulement savoir corriger les erreurs qui apparaissent dans leurs idées, théories, plans ou projets, comme cela a été dit précédemment, il faut encore, lorsqu’un processus objectif progresse et passe d’un degré de son développement à un autre, qu’ils soient aptes, eux-mêmes et tous ceux qui participent à la révolution avec eux, à suivre ce progrès et ce passage dans leur connaissance subjective, c’est-à-dire qu’ils doivent faire en sorte que les nouvelles tâches révolutionnaires et les nouveaux projets de travail proposés correspondent aux nouvelles modifications de la situation. » [6]
C’est avec cette attitude matérialiste dialectique qu’il convient, croyons-nous, d’aborder aujourd’hui la question de l’unité, en ne craignant pas de corriger nos erreurs, en ne craignant pas d’adapter nos moyens aux conditions nouvelles et à la connaissance plus poussée que nous avons aujourd’hui des conditions réelles et des principes du marxisme-léninisme à cet égard.
Dès sa création, notre groupe a montré sa grande préoccupation à l’égard de la question de l’unité, unité du prolétariat derrière son parti et unité des forces marxistes-léninistes et progressistes pour l’édification même du parti. Pour le parti prolétarien, publié en octobre 72, est déjà un appel à l’unité, mais c’est plus encore avec la diffusion, entre novembre 72 et mai 73, de son « projet de journal » que notre groupe invitera les forces progressistes québécoises à s’associer à son projet de créer un journal de propagande et d’agitation marxiste-léniniste. Dans son Cahier No 1, Pourquoi un journal de combat de la classe ouvrière?, EN LUTTE! déclarait que le journal devait être considéré comme l’instrument pour « établir des liens entre les militants, les noyaux combatifs du prolétariat et les masses laborieuses » [7]. Un an plus tard, dans son Cahier No 10, EN LUTTE!, Après une première année de travail..., notre groupe prenait clairement position pour le développement de l’unité et de l’organisation des marxistes-léninistes :
« Comme de plus en plus de groupes et de militants désireux d’appliquer au mieux les principes du marxisme-léninisme en ont acquis la conviction, l’unité et l’organisation des marxistes-léninistes sont en effet devenues essentielles, car isolés et inorganisés, ceux-ci demeureront tout à fait incapables de faire face aux courants réformistes qui cherchent à se développer en tirant profit des conditions nouvelles crées par l’aiguisement des contradictions du capitalisme et les luttes du mouvement ouvrier » [8]
A la même époque, à la mi-mai 74, lors de la fête-anniversaire de notre journal, nous lancions également l’appel à une plus grande unité politique et organisationnelle des marxistes-léninistes.
On peut conclure de tout ceci qu’EN LUTTE! a toujours considéré que la création du parti passait par l’unification politique et organisationnelle des marxistes-léninistes; on peut en conclure qu’EN LUTTE! a toujours cherché à unir les marxistes-léninistes et à gagner les forces progressistes au marxisme-léninisme. Il n’ en reste pas moins que jusqu’à l’automne 74 notre ligne et notre pratique ont laissé place à des erreurs importantes à cet égard. Pour exprimer les choses de façon synthétique, on peut dire que jusqu’à Créons l’organisation marxiste-léniniste de lutte pour le Parti en décembre 74, la ligne d’EN LUTTE! demeure profondément marquée par deux erreurs « héritées » du mouvement tel qu’il s’était développé jusque là et avec lesquelles nous n’avions que partiellement rompu.
Notre première erreur concernait la question nationale québécoise. Pour le parti prolétarien faisait bien la critique du nationalisme bourgeois qui avait dominé les forces progressistes tout au cours des années 60, mais il n’arrivait pas à adopter un point de vue marxiste-léniniste sur la question jusque dans ses conséquences pratiques, c’ est-à-dire à reconnaître la nécessité de mener la révolution prolétarienne à l’échelle du Canada, tout en luttant pour la reconnaissance du droit à l’autodétermination de la nation québécoise. C’est dans Créons l’organisation... que pour la première fois nous prenons clairement et fermement position pour la révolution prolétarienne au Canada sous la direction d’un parti unique. A cet égard, Créons l’organisation... marque une étape importante dans nôtre rupture avec cette forme d’opportunisme qui avait continué d’entraver notre action et avait limité nos horizons à la seule région du Québec, nous coupant des forces progressistes des autres régions du pays.
Créons l’organisation... comporte aussi la rupture idéologique avec une autre forme de l’opportunisme, également héritée du mouvement antérieur des forces progressistes québécoises; nous voulons parler de notre spontanéisme en matière d’organisation. Jusqu’à l’automne 74, en effet, nous avons agi comme si la seule action idéologique, comme si la propagande et l’agitation allaient d’elles-mêmes provoquer l’organisation, sur une base marxiste-léniniste, de l’avant-garde du prolétariat. Nous soutenions alors la mise sur pied de comités ouvriers progressistes, considérant que ces comités une fois gagnés au communisme, rallieraient le mouvement et constitueraient le parti comme par enchantement. Les efforts considérables que nous avons à la même époque déployés pour gagner d’autres groupes à nos positions sont des manifestations de la même erreur dont les formes extrêmes furent, à n’en pas douter les « groupes amis » d’EN LUTTE!, le « comité ad hoc » et le projet d’« Association ».
Nous avons brossé l’histoire de ces formes organisationnelles dans notre brochure récente Contre le sectarisme de la L.C.(m.-l.)C. Contentons-nous de rappeler que ces « formes organisationnelles » mises sur pied par nous entre le printemps 73 et la fin de l’été 74 avaient toutes en commun de réunir plusieurs groupes ou des militants de plusieurs groupes au développement inégal, dans le but de créer l’organisation de lutte, dans le but plus exactement de développer le projet de création de l’organisation et d’en formuler le programme. Cette voie était manifestement erronée et son échec l’a bien montré.
Faute d’établir clairement les principes sur lesquels nous appelions ces militants et groupes à l’unité sous prétexte que nous les appelions à définir la ligne et à formuler le programme avec nous, notre position conduisait à évacuer la lutte de ligne, la démarcation, elle conduisait à concevoir l’organisation comme une fédération avec EN LUTTE! comme groupe principal ou dirigeant. Nous rejetons aujourd’hui cette position comme opportuniste.
Il n’est pas inutile aujourd’hui de montrer que, par certains côtés, cette voie était celle mise de l’avant dès 1971 par les C.A.P. de Saint-Jacques et Maisonneuve, qui prétendaient que l’Organisation politique automne des travailleurs, O.P.A.T., allait résulter de la multiplication des comités de travailleurs ! Préconisant la mise sur pied d’une organisation marxiste-léniniste, Créons l’organisation... constitue pour EN LUTTE! le rejet de son spontanéisme antérieur en matière d’organisation.
La rupture, consacrée par Créons l’organisation..., autant avec le nationalisme étroit qui nous avait conduits à mener la lutte au Québec seulement, qu’avec nos conceptions spontanéistes en matière d’organisation, ne s’est pas produite en un jour. Elle a été le résultat d’une lutte importante au sein même de notre groupe comme au sein du mouvement tout entier. A preuve, c’est à l’automne 1974 que plusieurs groupes québécois, dont les fondateurs de la Ligue, publient des « manifestes » qui prônent la lutte à l’échelle du Canada et qui avancent la nécessité d’une organisation marxiste-léniniste.
L’automne 1974 marque ainsi une étape déterminante dans le développement du mouvement au Québec et dans l’ensemble du Canada, car la diffusion des positions des groupes québécois dans le reste du pays au cours des mois qui suivent va entraîner les marxistes-léninistes canadiens à sortir, eux aussi, de leur isolement et à entreprendre la diffusion de leurs points de vue, en particulier avec la création de Canadian Revolution en mai 1975 à Toronto. L’automne 1974 illustre bien que « le marxisme-léninisme se développe dans la lutte contre ce qui est anti-marxiste ». Les clarifications opérées alors ne sont-elles pas finalement le résultat de plusieurs mois d’efforts et de lutte pour déloger l’opportunisme qui dominait le mouvement marxiste-léniniste antérieurement, efforts et lutte qui ont permis aux groupes mêmes qui les ont consentis et à tout le mouvement de s’approprier plus profondément les principes du marxisme-léninisme et les enseignements historiques du mouvement ouvrier?
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Malgré leur importance déterminante, les clarifications idéologiques survenues au sein du mouvement marxiste-léniniste québécois à l’automne de 1974, n’allaient pas résoudre tous les problèmes. C’est une chose, en effet, de préciser ses objectifs, de définir plus clairement son orientation, ç’en est une autre de mettre les moyens appropriés en œuvre et de transformer pratiquement les choses. On peut dire aujourd’hui, avec le recul du temps, que faute d’avoir établi un plan d’action rigoureux en matière d’unité, notre groupe, pour un, commettra encore plusieurs erreurs importantes au cours de l’année 1975, même si des pas en avant considérables seront faits.
L’appel d’EN LUTTE! à l’unité et à l’organisation, lancé dès le printemps 74 produira des effets quasi inespérés. Tout comme lors du lancement du projet de journal à l’hiver 72–73, l’appel à l’unité sera entendu par de nombreux groupes du Québec qui depuis plusieurs mois d’ailleurs reconnaissaient notre leadership au sein du mouvement. Entre janvier et novembre 75, cinq groupes de Montréal, deux de Québec et un de Toronto entreprendront un processus d’intégration échelonné sur plusieurs mois au cours desquels les principaux points de la ligne idéologique et politique seront passés en revue et feront l’objet d’un accord entier, après quoi le processus de dissolution des groupes en question sera entrepris par l’intégration de leurs membres sur une base individuelle et suivant les statuts de notre groupe.
On a parfois critiqué ces groupes qui se sont intégrés à EN LUTTE! de n’avoir pas rendu leur décision publique. D’une part, la critique devrait être adressée à notre groupe, car c’est notre décision et non celle des groupes intégrés. Malgré le caractère négatif de ce silence à certains égards, notre décision n’était pas sans fondement.
D’ailleurs, nous rendrons compte prochainement de la lutte qui a accompagné l’intégration à notre groupe du Toronto Communist Group, car il s’agit là d’un groupe qui depuis quelques mois avait fait connaître son existence comme groupe marxiste-léniniste. Et, dans une certaine mesure, ce bilan permettra de voir comment nous avons mené la lutte dans la plupart des cas avec les autres groupes.
Mais ce qu’il faut dire c’est que nous ne croyons pas nécessaire qu’à chaque fois qu’un groupe ou un cercle de militants rallie nos rangs, d’en faire état publiquement. Dans bien des cas jusqu’ici les groupes qui se sont ralliés à nous n’étaient pas des groupes marxistes-léninistes directement engagés dans la lutte pour le parti; leur ralliement à EN LUTTE! constituait en même temps leur adhésion formelle au mouvement marxiste-léniniste et leur engagement pratique dans la tâche centrale des communistes (m.-l.) à l’étape actuelle. Publier une autocritique dans un tel cas eut été une formalité qui n’eût guère fait avancer le mouvement. Les choses eurent été différentes s’il se fut agi de groupes qui auraient propagé largement des positions erronées dans les masses antérieurement en se réclamant du marxisme-léninisme.
Néanmoins, notre silence sur ces ralliements a privé le mouvement d’informations pertinentes sur les développements qui s’y produisaient et sur les moyens et méthodes par lesquels notre groupe appliquait sa ligne sur l’unité, ce qui eut permis d’en juger plus concrètement.
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La publication de Pour le parti prolétarien et la création de l’Équipe du journal à l’automne 1972 ont marqué une étape importante dans la lutte contre l’opportunisme qui était alors envoie de gangréner tout le mouvement des forces progressistes et marxistes-léninistes au Québec, comme dans l’ensemble du pays d’ailleurs . Mais on devait voir dans les années qui suivirent, en particulier avec le C.S.L.O. en 1973 et 74, que la victoire sur l’opportunisme n’était que partielle et nullement définitive. Plus particulièrement, on peut dire que pendant toute la période de 1972 à la fin de 1974, EN LUTTE! demeure fortement marqué par le spontanéisme et l’opportunisme en matière d’organisation; on peut dire que l’« héritage » du Secteur travail du C.A.P. Saint-Jacques n’est pas encore dépassé tout à fait.
En ce sens, Créons l’organisation marxiste-léniniste de lutte pour le parti (décembre 74) marque une nouvelle victoire sur l’opportunisme non seulement en ce qu’à ce moment-là EN LUTTE! avance clairement la mise sur pied d’une organisation de lutte pour le parti, mais aussi en ce que notre groupe rompt définitivement avec le nationalisme bourgeois et situe correctement la question nationale québécoise dans le cadre de la révolution prolétarienne canadienne. Ainsi, le parti n’est-il plus perçu comme devant être le résultat de la mise sur pied de divers comités ouvriers, de diverses organisations de masse, mais bien plutôt le résultat de la constitution des forces marxistes-léninistes en une organisation structurée, centralisée et directement engagée, à l’échelle du pays, dans la construction des bases du parti, des cellules d’entreprises.
Victoire sur l’opportunisme, sans aucun doute, ce développement, qui n’est pas le propre d’EN LUTTE! seulement, faut-il le rappeler, mais aussi des groupes qui créeront la Ligue à l’automne 1975, est d’abord une victoire idéologique... qu’il reste à faire passer dans la pratique, entre autres, dans la lutte pour l’unité. Il faudra plus d’un an à EN LUTTE! pour tirer au clair toutes les conséquences pratiques des conclusions de Créons l’organisation..., un an de tâtonnements, d’ essais et d’erreurs, mais un an de progrès aussi puisque aujourd’hui ce qui n’était pas clair hier l’est davantage et d’autres pas en avant sont possibles.
Les erreurs et les hésitations d’ EN LUTTE! auront néanmoins eu des effets négatifs qu’il ne faut pas chercher à minimiser. En effet, notre groupe a souvent joué un rôle de leadership au sein du mouvement au cours des dernières années et, pour cette raison, des groupes et des militants marxistes-léniniste en sont venus à attendre de nous une direction, une orientation dans leur action. Cela est normal : dans un mouvement inégalement développé, il revient aux groupes plus avancés de fournir une direction. Cela n’a rien à voir avec « l’auto-proclamation » cependant, car il ne s’agit pas de dire: « nous sommes le centre dirigeant, suivez-nous! « . Il s’agit plutôt à la lumière de ses connaissances et de son expérience, de lutter pour définir une voie juste, pour la mettre de l’avant et la faire triompher. Cette responsabilité, EN LUTTE! ne l’a pas prise fermement en main au cours de la dernière année.
Conscients de cette erreur, nous entendons la corriger tout à fait dans les prochains mois, ne plus nous contenter d’appeler à l’unité de tous les marxistes-léninistes canadiens, mais avancer des propositions claires à cet égard et en mener la réalisation à bien. Nous ne disons pas que nous constituons le « centre dirigeant » du mouvement à l’heure actuelle, mais nous considérons que notre point de vue sur la façon de mener la lutte pour le parti est juste, conforme aux enseignements du marxisme-léninisme et qu’il tient compte des conditions concrètes dans notre pays. Notre devoir est alors de le mettre fermement de l’avant, de le présenter à tous les marxistes-léninistes du pays, de les convaincre de sa justesse. Ce faisant, nous devons cependant demeurer attentifs aux autres points de vue, les analyser, les adopter ou les combattre suivant qu’ ils font avancer notre cause ou la retardent.
* III. La politique et l’organisation sont indissociables
L’objectif des marxistes-léninistes est de s’unir, car leur unité est essentielle à la création du parti. Certains camarades, dont ceux de Mobilisation qui l’affirment ouvertement dans leurs Documents de la première conférence de Mobilisation [9], considèrent que l’unité de tous les communistes (m.-l.) n’est pas nécessaire à la création du parti. Cette position est tout à fait erronée et doit être extirpée du mouvement. Elle ne conduit pas à l’unité, mais à la scission. Mettant à profit les enseignements de l’histoire des partis communistes russes, chinois et albanais, plus particulièrement, à l’époque de leur constitution, les marxistes-léninistes canadiens doivent appliquer sans réserves le principe formulé par Lénine: « créer et affermir le parti, c’est créer et affermir l’union de tous les social-démocrate », dans les termes d’aujourd’hui, l’union de tous les marxistes-léninistes (Nous soulignons N.D.L.R.).
Si l’on veut bien se donner la peine d’étudier l’histoire des trois partis mentionnés plus haut, on se rendra vite compte qu’ils ont été créés et qu’ils ont entrepris de se développer à travers une lutte de lignes intense qui portait sur des questions tout à fait centrales. Par exemple, en Russie, il se trouvait tout un courant au sein du Parti qui rejetait la lutte politique contre le pouvoir tsariste; c’est ainsi qu’apparut la tendance menchevik qui ira jusqu’à bafouer les décisions du congrès dans le but de faire triompher ses positions opportunistes. En Chine, ainsi que le relate Mao Zedong, les premières années du Parti ont été marquées par la lutte contre l’opportunisme de droite qui trouva même à se camoufler sous des tendances « de gauche » qui qualifiaient d’opportuniste la ligne défendue par Mao Zedong. En Albanie, la création du Parti sera le fait d’une conférence réunissant divers groupes au sein desquels cohabitent des tendances diverses, jusqu’à des trotskystes [10], qui seront démasqués par la suite.
Malgré ces divergences, les communistes de ces pays ont recherché l’unité d’abord, conscients que l’unité des communistes est essentielle à l’unité du prolétariat et que l’unité du prolétariat est essentielle à la victoire de la révolution socialiste. Quand les marxistes-léninistes affirment que « la ligne idéologique et politique est déterminante en tout », ils ne doivent pas oublier que l’unité des communistes (m.-l.), que l’unité du prolétariat et finalement l’unité du peuple sont un élément essentiel de la ligne marxiste-léniniste. Avancer, comme l’a déjà fait la Ligue, qu’il faut une « absolue identité de vues » sur les questions idéologiques stratégiques et tactiques au sein du parti [11]; avancer, comme le fait Mobilisation, que le parti peut être créé sans « attendre que tous se soient prononcés et aient rallié l’organisation » [12], voilà deux positions erronées, qui se complètent d’ailleurs, et qui conduisent à la scission.
Il faut bien voir, en effet, que l’unité du parti et plus encore l’unité des marxistes-léninistes encore dispersés dans divers groupes sera toujours le résultat d’une lutte, de la lutte contre les idées erronées, de la lutte contre l’idéologie bourgeoise et que c’est dans cette lutte que la ligne marxiste-léniniste se consolidera. Prétendre que l’unité va résulter d’une « absolue identité de vue », prétendre que le parti peut être créé sans « attendre » tous les marxistes-léninistes, c’est en pratique renoncer à la lutte de lignes au sein du mouvement, c’est concevoir le parti comme un havre de paix et d’unité, isolé des forces vives du mouvement ouvrier et de ses couches les plus progressistes où la lutte est permanente; c’est concevoir le parti comme en dehors de la vie du mouvement ouvrier. C’est la solution de la facilité, qui consiste à unir ceux qui s’entendent parfaitement... sans attendre les autres avec qui on ne s’entend pas. Ce point de vue n’est pas celui de l’unité, c’est celui de la scission érigée en système.
Les marxistes-léninistes désirent et recherchent l’unité. Les signes de cette volonté sont multiples et de plus en plus nombreux: on les voit se manifester dans tous les coins du pays, de Halifax à Vancouver. Les marxistes-léninistes qui réduisent encore le mouvement aux seuls groupes du Québec, plus avancés, moins « confus » — le terme est de la Ligue -, ces marxistes-léninistes retardent sur le développement du mouvement. L’histoire a montré maintes fois que les groupes « avancés » qui en arrivaient à concevoir leur « avancement » comme un « droit acquis » et commençaient à lever le nez sur tout ce qui n’était pas eux, qui commençaient à repousser les autres comme des lépreux, l’histoire a montré que ces groupes se retrouvaient le plus souvent à la queue du mouvement. Ainsi, en 1971, 72 et 73 au Québec, les plus « avancés » du mouvement, c’était on s’en souvient, le C.A.P. Saint-Jacques et le C.A.P. Maisonneuve, en particulier le « Secteur travail ». Ils étaient si « avancés » qu’ils n’avaient pas à discuter de Pour le parti prolétarien avec l’Équipe du journal; ils n’avaient même pas à le lire: les gens de l’E.D.J., c’était des intellectuels sans pratique! Nous devons être prémunis contre ce genre d »‘avancement » qui nous ramène... en arrière.
Il n’en demeure pas moins que les divers groupes, organisations et cercles qui composent le mouvement ne sont pas tous également développés. Certains ont plus d’expérience et une plus grande diversité d’expériences que d’autres; certains ont manifesté, généralement en raison de leur expérience, mais surtout de leur capacité de tirer les acquis de leur expérience, une plus grande capacité d’appliquer correctement le marxisme-léninisme à la lutte révolutionnaire dans notre pays. Ces groupes sont évidemment appelés à jouer un rôle moteur dans la lutte pour l’unité. Il leur appartient somme toute de faire les propositions, de poser les gestes qui sont les plus susceptibles de faire avancer le mouvement dans son ensemble vers le but que nous poursuivons tous. Or, faire avancer le mouvement dans son ensemble ne consiste pas à dire: « nous sommes avancés, suivez-nous... si vous pouvez »; cela consiste à lutter pour faire disparaître les inégalités de développement au sein du mouvement, inégalités bien réelles qui sont un frein à l’unité. Mais inégalités qui peuvent être dépassées, comme le prouve encore une fois l’histoire, car les groupes avancés d’aujourd’hui n’ont pas toujours été avancés! Cela va de soi, mais il y a des évidences tellement criantes parfois que certains en arrivent à les oublier.
Pour qui se préoccupe vraiment de suivre l’évolution du mouvement à l’échelle du pays, il est manifeste que depuis un an et demi des progrès énormes ont été accomplis, au Canada anglais surtout, mais aussi au Québec; partout au Canada, les forces progressistes, jusque-là marxistes-léninistes seulement dans l’abstrait, luttent fermement pour faire avancer les tâches de l’heure du mouvement, c’est-à-dire l’édification du parti par le ralliement des éléments avancés du prolétariat au communisme, c’est-à-dire le développement de l’agitation, de la propagande et de l’organisation sur des bases marxistes-léninistes au sein du mouvement ouvrier. Ces développements très importants, autant en qualité qu’en quantité, constituent en eux-mêmes un puissant facteur d’unité. Engagés de plus en plus dans des tâches identiques, guidés de plus en plus par une même ligne idéologique et par une ligne politique semblable sur bien des points, les marxistes-léninistes canadiens sont de fait de plus en plus unis. Diriger ce mouvement où les facteurs d’unité sont en développement vers sa complète unité politique et organisationnelle, c’est-à-dire vers le Parti, tel est le rôle que nous assignons à l’organisation canadienne de lutte pour le parti.
Il convient, sur ce point, d’être particulièrement clair. En effet, il faut se méfier du point de vue suivant lequel il faudrait, dans un premier temps, réaliser une « absolue » unité politique et qu’ensuite on pourrait passer à l’unité organisationnelle. Ce point de vue est contraire à la nature dialectique des choses. L’unité politique est évidemment nécessaire à l’unité organisationnelle; mais, en même temps, l’unité organisationnelle est nécessaire à l’unité politique. C’est le centralisme démocratique qui permet d’unir la politique et l’organisation, qui permet d ‘assurer l’unité organisationnelle et l’unité d’action à partir de l’unité politique, à partir du programme et, en même temps, de consolider l’unité politique et de l’organisation à travers la centralisation de la lutte de lignes et la soumission de la minorité à la majorité. Sans organisation unifiée, le centralisme démocratique ne s’applique évidemment pas et les conditions s’en trouvent moins propices à la réalisation de l’unité politique. En pratique, c’est l’esprit de cercle, le localisme qui l’emportent sur l’esprit de parti.
En d’autres termes, à un certain niveau d’unité politique doit correspondre une forme particulière d’unité organisationnelle. Nous croyons qu’au niveau actuel d’unité des marxistes-léninistes canadiens correspond la forme d’organisation que nous appelons « l’organisation canadienne de lutte pour le parti ». Nous croyons que c’est au sein de cette organisation que les communistes (m.l.) canadiens devront dorénavant viser à déployer leurs efforts pour faire triompher le marxisme-léninisme sur les manifestations d’opportunisme et de révisionnisme qui entravent encore l’unité du mouvement et sa jonction avec le mouvement ouvrier. Nous croyons que c’est dans cette organisation, et à travers son action, que les conditions de création du parti, en particulier l’unité politique de tous les marxistes-léninistes, pourront être réalisées. Nous croyons que, sans cette organisation qui réunisse les marxistes-léninistes de toutes les régions du pays, l’unité du mouvement et la création du parti retarderont encore longtemps.
Bien sûr, il pourrait s’en trouver encore, comme il s’en est déjà trouvé dans notre pays et ailleurs dans le monde, pour créer le « parti-de-ceux-qui-ont-une-identité-de-vue-absolue-et-qui-n’ont-pas-à-attendre-les-retardataires »; bien sûr, mais que sont donc ces « partis » qui ne réunissent qu’une fraction du mouvement? Des partis marxistes-léninistes ou des « partis trotskystes », les partis d’une fraction, les partis de la fraction « avancée »?! Si un tel parti, scissionniste par nature, venait à voir le jour chez nous, il faut dire tout de suite et bien haut que le parti resterait à créer, car suivant l’expression de Lénine, « créer et affermir le parti, c’est créer et affermir l’union de tous les (marxistes-léninistes). »
Les marxistes-léninistes canadiens ont aujourd’hui le devoir impérieux de lutter avec la dernière énergie contre ces tendances scissionnistes au sein du mouvement, car leur développement serait néfaste au plus haut point pour la lutte révolutionnaire dans notre pays. Travailler contre l’unité du mouvement marxiste-léniniste, c’est travailler contre l’unité du prolétariat. Or, les facteurs de division au sein du prolétariat canadien sont suffisamment cultivés par la bourgeoisie pour qu’on s’attaque sans tarder à leur destruction, plutôt que de les favoriser en formalisant et en structurant les divisions au sein du mouvement marxiste-léniniste. Parmi ces facteurs, le facteur national, la division du prolétariat québécois du prolétariat canadien-anglais, est un des plus importants, l’histoire l’a amplement démontré et les manœuvres actuelles de la bourgeoisie l’illustrent quotidiennement. Les marxistes-léninistes qui aujourd’hui foncent tête baissée sans tenir compte de ces facteurs, vont inévitablement se cogner la tête sur un mur comme le P.C.C. (révisionniste) tout au cours de son histoire. C’est dans ce sens, entre autres, que l’objectif d’une organisation canadienne, créée par des marxistes-léninistes de tout le pays, revêt une importance déterminante dans la situation où nous nous trouvons. L’ignorance ou la méconnaissance de cet aspect du problème constitue, en pratique, un facteur de scission au sein du mouvement marxiste-léniniste. L’ignorance, et le mépris même, de ce que sont réellement les forces marxistes-léninistes au Canada anglais qu’on retrouve dans les textes de la Ligue et aussi de Mobilisation, comptent parmi les facteurs de division au sein du mouvement; il faut lutter contre cette ignorance et ce mépris, car ils mènent non pas à l’unité mais à la scission.
C’est dans cette perspective que nous préconisons la création d’une organisation canadienne de lutte pour le parti, ne reconnaissant pas que la Ligue réunit les conditions nécessaires pour mener le mouvement vers une plus grande unité, la Ligue elle-même manifestant dans ses propos et dans ses gestes qu’elle n’a pas l’intention de consentir les efforts nécessaires à l’unité de tous les marxistes-léninistes canadiens. En effet, dès qu’elle dit qu’elle a la « ligne juste » et qu’elle est le « centre dirigeant » du mouvement et que, par conséquent, les autres marxistes-léninistes n’ont plus qu’à joindre ses rangs pour réaliser l’unité du mouvement, la Ligue adopte, dans la situation présente, un point de vue scissionniste.
La « ligne juste » ne se décrète pas; la direction du mouvement (pas plus que celle d’un parti ou d’une organisation) ne s’autoproclame pas. Ces deux attitudes sont radicalement étrangère au marxisme-léninisme, au matérialisme dialectique et historique. La ligne marxiste-léniniste et la direction qui doit en guider la juste application s’édifient dans la lutte et pas autrement. Or, si on veut bien se situer à l’échelle du mouvement marxiste-léniniste canadien et non pas seulement à celle de l’un ou l’autre des groupes qui le composent, on reconnaîtra aisément que si la lutte pour la clarification des questions fondamentales qui confrontent le mouvement en ce moment est bien amorcée, elle est loin d’être parvenue à son terme, elle est loin d’avoir permis à chacun d’en mesurer les enjeux et de prendre parti en toute connaissance de cause. « Avant de s’unir et pour s’unir, il faut se démarquer », a dit encore Lénine parlant de la lutte pour « créer et affermir l’union des (marxistes-léninistes) », pour « créer et affermir le parti ».
Si aujourd’hui aucun groupe ne peut s’afficher « centre dirigeant » pourvu de la « ligne juste », il n’en reste pas moins que la lutte pour l’unité des marxistes-léninistes a besoin d’une direction et qu’elle doit être menée dans le but de parvenir à l’établissement d’une ligne marxiste-léniniste pour la révolution au Canada. C’est dans ce but que nous mettons aujourd’hui de l’avant un plan de lutte pour l’unité qui rejoint ces deux objectifs: permettre de démasquer les tendances opportunistes et erronées au sein du mouvement, renforçant ainsi la ligne marxiste-léniniste’ et travailler à réaliser l’unité organisationnelle des marxistes-léninistes autour de cette ligne. Ces deux objectifs sont d’ailleurs indissociables.
** Pour un programme de l’Organisation
La lutte pour l’unité des marxistes-léninistes canadiens ne sera donc pas chose facile en tous points. Des divergences considérables existent, en effet, entre la Ligue et nous, divergences qui touchent précisément les questions qui sont l’objet des préoccupations actuelles de la grande majorité du mouvement. Ces questions majeures sont au nombre de trois à notre avis. Premièrement, il y a la question de la voie de la révolution au Canada et plus particulièrement la place de l’impérialisme américain parmi les ennemis du prolétariat et du peuple canadiens. Deuxièmement, il y a la question des tâches internationalistes des communistes (m.-l.) canadiens, face au danger de guerre mondiale et suite à la division (conjoncturelle) du globe en trois mondes, face à la question de l’indépendance du Canada dans le contexte d’hégémonisme des deux superpuissances. On voit que la première et la deuxième questions sont intimement liées; en effet, si l’impérialisme américain est un allié de la bourgeoisie canadienne, il est impossible de le placer sur le même pied que le social-impérialisme soviétique tout simplement comme ennemi secondaire du peuple canadien... Troisièmement, il y a la question générale des tâches actuelles des marxistes-léninistes dans la lutte pour l’édification du parti de la révolution socialiste, dans la lutte éventuelle pour la constitution d’un « front uni national » contre les menaces à l’indépendance du pays, question qui soulève le problème des justes rapports à établir entre la lutte pour rallier les éléments avancés du prolétariat et la lutte pour l’unité du mouvement, et plus encore celle des rapports entre les luttes démocratiques et la révolution prolétarienne dans un pays comme le Canada.
C’est en tenant compte de ces divers aspects de la question qu’EN LUTTE! a élaboré un plan de lutte pour l’unité qui à la fois, 1: formule un objectif clair et net, la création d’une organisation marxiste-léniniste canadienne. 2: tient compte de la situation du mouvement, de son développement inégal, de sa dispersion, de son retard sur les conditions du mouvement ouvrier, et finalement, met au premier plan la question du développement de la ligne marxiste-léniniste pour la révolution socialiste au Canada, par l’intensification de la « lutte contre ce qui est anti-marxiste ». En d’autres termes, le point de vue d’EN LUTTE! c’est que l’unité organisationnelle du mouvement marxiste-léniniste canadien doit reposer sur un programme marxiste-léniniste élaboré dans le cadre même de la lutte pour l’unité, au vu et au su de l’ensemble du mouvement qui pourra ainsi se prononcer sur chacun de ses éléments essentiels; on peut même dire que les divers groupes qui composent le mouvement verront d’autant mieux la nécessité de se démarquer par rapport à ce programme que celui-ci sera mis de l’avant dans le but clairement formulé d’appeler à l’unité organisationnelle sur la base politique qu’il constituera. Voilà à notre avis, la seule méthode juste de parvenir à l’unité organisationnelle du mouvement à l’échelle du Canada.
EN LUTTE! n’a pas la prétention d’avoir élaboré jusqu’ici le programme d’unification des marxistes-léninistes, le programme que l’organisation devrait adopter lors de sa création. En réalité, nous reconnaissons que les critiques qui nous ont été adressées depuis la parution de ce qui a fait office de « manifeste » d’EN LUTTE! jusqu’ici, c’est-à-dire Créons l’organisation marxiste-léniniste de lutte pour le parti, publié en décembre 1974, ne sont pas sans fondements, y compris celles de la Ligue. En revanche, nous sommes loin d’adhérer aux positions de celle-ci sur plusieurs points majeurs des trois ordres de questions mentionnés plus haut, à savoir la voie de la révolution au Canada, la conjoncture internationale et les tâches actuelles des communistes (m.-l.) dans la lutte pour le parti.
Dans l’année qui vient nous comptons avancer des positions claires et fermes sur chacune de ces grandes questions, les soumettre à la critique du mouvement tout entier et des couches avancées du prolétariat et des masses populaires du pays de diverses façons: journal, revue, brochures, conférences et débats publics où les divergences pourront s’exprimer. Au cours de la même période et prenant en considération les clarifications apportées dans le cours même des débats, nous travaillerons à élaborer et à diffuser une proposition de programme pour l’organisation canadienne de lutte pour le parti.
C’est au terme de cette période de lutte sur les questions fondamentales du programme de l’organisation marxiste-léniniste, au cours de laquelle tous les points de vue auront pu s’exprimer et toutes les propositions être formulées qu’il sera possible d’appeler le congrès de fondation de l’organisation. Tous les groupes marxistes-léninistes du pays devraient pouvoir prendre part à ce congrès, les critères étant la « ligne idéologique » qui à notre sens définit les contours du mouvement. C’est à ce congrès qu’il appartient de se prononcer sur les diverses propositions de programme mises de l’avant et d’adopter, et le programme, et les statuts de la nouvelle organisation.
Voilà la méthode de lutte pour l’unité, de lutte pour créer l’organisation canadienne qui seule peut réussir dans les conditions actuelles. Partant de l’unité actuelle du mouvement qui se situe au niveau d’une ligne idéologique marxiste-léniniste, il s’agit par la lutte contre les courants et les déviations opportunistes, d’unir le mouvement à un niveau plus élevé, au niveau d’une organisation regroupée autour d’un programme politique marxiste-léniniste.
** Créer une organisation
Le programme politique constitue la base fondamentale et essentielle de toute organisation communiste (m-l). C’est pourquoi, à n’en pas douter, c’est autour des questions de programme que vont surtout s’articuler les débats devant conduire à l’unification du mouvement marxiste-léniniste. Dans cette perspective, EN LUTTE! entend, pour sa part, intensifier ses interventions en cette matière au cours des prochains mois afin que ses positions soient parfaitement connues, afin que la démarcation soit nette avec toutes les positions que nous jugeons erronées. Si aujourd’hui notre ligne présente des ambiguïtés et peut créer de la confusion sur certains points, nous allons travailler résolument à lever ces ambiguïtés, à dissiper cette confusion.
Pour cela, nous utiliserons largement notre journal et notre revue. Nous comptons d’ailleurs ouvrir largement les pages de notre presse aux groupes qui voudraient prendre part au débat, s’adresser au mouvement, mais qui ne disposent pas des instrument nécessaires. En outre, nous organiserons des conférences et des débats publics dans diverses villes du pays sur les points majeurs qui retiennent aujourd’hui l’attention du mouvement et qui se trouvent au cœur de la question du programme. Nous prévoyons en ce moment quatre conférences de ce type, qui seront d’ailleurs reprises à l’échelle régionale et locale, chaque fois que ce sera possible, dans le but de rejoindre les masses directement, en particulier les ouvriers et travailleurs avancés que la question de l’unité du mouvement préoccupe beaucoup à l’heure actuelle, qui désirent ardemment que le mouvement rompe définitivement avec le caractère artisanal de son action. Ces conférences porteront, la première, sur l’unité, les autres sur la voie de la révolution, sur les questions internationales et, finalement, sur les tâches actuelles des communistes (M.-L.) canadiens.
Mais pour créer une organisation, il ne suffit pas de s’entendre sur une ligne idéologique générale et sur un programme. L’organisation qu’il s’agit de créer doit constituer un saut qualitatif dans l’édification du parti prolétarien. Elle doit donc permettre aux forces marxistes-léninistes de mener une lutte résolue pour la pénétration du marxisme-léninisme dans les masses, de démystifier l’idéologie bourgeoise sous toutes ses formes et assurer le ralliement des éléments avancés du prolétariat et du peuple au communisme et leur engagement actif dans la lutte révolutionnaire. C’est ainsi en effet que les communistes (m.-l.) jetteront les bases du parti au sein des masses.
Pour cela, la création de l’organisation canadienne de lutte pour le parti devra correspondre avec la mise en place à l’échelle du pays des quatre conditions que nous avons déjà posées dans la série des Tâches du mouvement marxiste-léniniste [13], à savoir:
1. s’appuyer sur un programme politique qui se démarque clairement de toutes formes d’opportunisme et constitue, comme nous l’avons indiqué, la base fondamentale de l’unité politique de l’organisation, un programme par rapport auquel l’ensemble du mouvement aura eu la possibilité de se démarquer également;
1. appliquer le centralisme démocratique qui constitue le fondement de l’unité d’action de toute organisation et de tout parti marxiste-léniniste en même temps que la condition essentielle du développement de l’unité politique au sein de l’organisation ; cela suppose la rupture totale avec « l’esprit de cercle » et le triomphe de l’« esprit du parti »;
1. mettre en place les structures organisationnelles propres à favoriser l’édification du parti; il s’agit là de fonder l’organisation sur la base de la cellule communiste qui constitue l’unité organisationnelle première, avec comme objectif de créer le plus de cellules d’entreprises possible chaque fois que les conditions le permettent; il s’agit aussi de développer toutes les structures régionales et les organes dirigeants nécessaires et finalement les organisations « périphériques » que les diverses formes d’intervention des communistes (m.-l.) pourraient commander;
1. édifier le journal communiste d’agitation, de propagande et d’organisation à l’échelle du pays; pour devenir l’instrument de l’unité du prolétariat et, comme condition de celle-ci, de l’unité des communistes (m.-l.), l’organe de l’organisation devra refléter correctement les développements de la lutte des classes à l’échelle du pays, pénétrer largement dans les masses canadiennes et constituer un véritable instrument de lutte entre les mains de ses lecteurs; pour cela, il faut des rédacteurs bien sûr, mais aussi des correspondants partout, des diffuseurs nombreux et un réel soutien matériel des masses.
Comme on peut le voir à l’énumération, même sommaire, des conditions de création de l’organisation, il est évident que des transformations sensibles devront être opérées en de nombreux points du mouvement pour que la création de l’organisation ne demeure pas une simple déclaration d’intention mais corresponde dans les faits à un saut qualitatif du mouvement. Elles sont si déterminantes et considérables ces transformations qu’il n’est pas trop tôt pour s’atteler à leur réalisation là où ce n’est pas encore le cas. Beaucoup de groupes ont eu jusqu’ici des activités principalement théoriques et ont fonctionné sur le mode du consensus général; les membres de l’organisation à créer devront être des professionnels de la révolution, responsables d’une tâche sans doute bien spécialisée qui ne représentera qu’un aspect d’un ensemble de tâches dont l’accomplissement reposera sur les épaules de nombreuses personnes: cela est déjà une différence de taille. Bien plus, les membres de l’organisation seront tenus d’appliquer la ligne et le programme de l’organisation et non plus d’« élaborer et d’appliquer leur propre ligne » et ils seront soumis à la direction élue par le congrès et non plus libres d’en faire à leur tête au gré de leurs fantaisies, de joindre les rangs d’un groupe, de le quitter, d’y revenir comme bon leur semble. L’organisation marxiste-léniniste doit devenir l’école des cadres révolutionnaires qui auront la tâche historique d’assurer la création du parti et son édification comme instrument de direction de la lutte de classe du prolétariat et de tout le peuple canadiens. Pour cela, il faut rompre totalement avec l’« esprit de cercle » et adopter un véritable « esprit de parti » qui place les intérêts du peuple et de la révolution au premier plan, avant les intérêts de l’organisation et des membres qui la composent.
Pour opérer ces transformations, la création de l’organisation canadienne devra comprendre, outre l’adoption d’un programme qui liera tous ses membres, celle des statuts qui régiront sa vie interne, établiront les droits et devoirs de ses membres, définiront ses structures organisationnelles et son mode de direction aux différents niveaux. C’est seulement ainsi qu’il sera possible de parvenir de façon certaine à une véritable unité de pensée et d’action au sein de la nouvelle organisation, unité qui sera d’autant plus nécessaire que la tâche principale de celle-ci sera justement de réaliser l’unité de tous les marxistes-léninistes afin d’arriver à la création du parti marxiste-léniniste unique du prolétariat canadien.
Il faut cependant savoir qu’un certain nombre de groupes réunissent déjà de façon au moins embryonnaire l’ensemble ou une partie des caractéristiques de l’organisation. EN LUTTE!, pour sa part, s’est appliqué depuis près de deux ans à les développer et considère avoir fait des pas importants dans cette voie. Dans un avenir rapproché, l’ensemble de notre groupe sera appelé à se prononcer sur un programme qui constituera à bien des égards un progrès considérable par rapport au « manifeste » Créons l’organisation... de décembre 74; ce programme sera publié par la suite. Notre groupe applique le centralisme démocratique avec de plus en plus de vigueur. Il a diversifié ses modes de pénétration au sein des masses et accorde toute son attention à la constitution d’« unités de base » organisées sur le modèle de cellules et qui intègrent de plus en plus d’ouvriers dans leurs rangs jusqu’au jour où il sera possible de faire un autre pas en avant et de constituer de véritables cellules d’entreprises dirigeant les activités de toutes les organisations « périphériques » nécessaires à leur action; par organisations « périphériques », il faut entendre les « cercles de lecteurs », « cercles d’étude », « noyaux de sympathisants », « comités de lutte », etc. Finalement, notre journal est publié en anglais et en français depuis quelques mois, son contenu est de plus en plus canadien, il s’appuie sur un réseau de correspondants en voie de développement dans diverses régions du pays et il est diffusé de façon significative dans tout le pays, le nombre de ses abonnés croissant rapidement.
Même si EN LUTTE! a réalisé effectivement des progrès considérables en matière d’organisation depuis deux ans, même si, pour cette raison, notre groupe a des responsabilités particulières à l’égard du mouvement auquel il doit faire connaître ses réussites et ses échecs pour favoriser des progrès plus grands et plus rapides dans l’ensemble du mouvement, il n’en reste pas moins que, si l’on veut bien songer aux intérêts du prolétariat d’abord, à ceux du mouvement marxiste-léniniste tout entier ensuite, la création dans un avenir relativement rapproché de l’organisation canadienne s’impose avec de plus en plus de force. Sans une telle organisation, c’est le développement du mouvement qui sera bientôt bloqué (y compris celui de chacun des groupes qui le composent, y compris bien sûr, celui d’EN LUTTE!). Car, le développement véritable du mouvement réside finalement dans l’approfondissement de sa jonction avec le prolétariat. Or, celui-ci appelle l’unité des communistes (m.-l.). Le prolétariat dans son ensemble ne pourra s’intéresser longtemps aux ardents défenseurs de l’unité que sont les marxistes-léninistes si ceux-ci demeurent indéfiniment divisés et constamment engagés dans des combats de groupuscules contre groupuscules. En dernière analyse, le mouvement marxiste-léniniste ne pourra rallier le prolétariat que s’il constitue véritablement une force dans sa lutte contre la bourgeoisie. C’est là finalement que réside la raison essentielle qui doit nous pousser à travailler sans relâche et avec détermination et méthode à l’édification du parti.
Un pas déterminant dans cette voie sera la création de l’organisation canadienne. Il est du devoir de tous les groupes, cercles et organisations communistes (m.-l.) du pays de poser le problème clairement et de s’attaquer à sa résolution. Un pas en ce sens sera sans doute l’étude attentive et la critique de la méthode que nous mettons de l’avant pour y arriver. Advenant qu’elle soit considérée juste, il faudra s’engager dans sa mise en application, en se penchant sur les questions de programme comme sur celles d’organisation. Faire preuve d’« esprit de parti » aujourd’hui pour les marxistes-léninistes canadiens, c’est arrêter d’aborder les problèmes à travers les seules préoccupations de son groupe ou de son organisation et entreprendre de le faire à partir des tâches qui confrontent le mouvement dans son ensemble. Or, la tâche qui aujourd’hui doit commander toutes les autres, c’est d’assurer l’unité politique et organisationnelle de tout le mouvement pour ensuite créer le parti.
* Conclusion: L’unité. Pourquoi? Comment?
Tout au cours des pages qui précèdent, nous croyons avoir fourni les raisons pour lesquelles l’unité du mouvement marxiste-léniniste canadien constitue une question centrale dans les conditions actuelles. Ramenées à l’essentiel, ces raisons sont que le développement de la lutte révolutionnaire l’exige. Il est d’ailleurs significatif que les plus ardents partisans de l’unité se trouvent parmi les ouvriers communistes ou sympathisants du mouvement. « Significatif », parce que les ouvriers et les travailleurs n’ont rien à perdre et tout à gagner avec l’unification des forces révolutionnaires de notre pays. « Significatif », parce que les communistes des divers groupes et organisations et en particulier leurs dirigeants ont, eux, quelque chose à perdre: leur petit fief, le petit groupe ou cercle de ceux qu’ils connaissent bien et avec qui ils s’entendent bien, leur poste de responsable peut-être... L’ »‘esprit de cercle » repose en effet sur l’individualisme, c’est l’individualisme porté à l’échelle d’un groupe ou d’une organisation.
L’« esprit de cercle » qui, poussé à la limite, débouche sur le sectarisme, constitue donc bien le principal frein au développent de la lutte pour l’unité des marxistes-léninistes. Il s’accompagne d’ailleurs inévitablement d’autres manifestations d’individualisme, personnel ou « collectif ». Il prend prétexte de toutes les occasions pour se manifester: l’importance des principes dans telle ou telle question, des divergences sur ceci ou cela. Il débouche sur les points de vue les plus erronés comme celui suivant lequel le parti peut-être créé sans « attendre » tous les communistes, car il y en aurait qui ne sont « pas prêts »!
L’« esprit de cercle » et le sectarisme ont une longue histoire dans notre mouvement. Ils ont causé des torts considérables au développement des forces révolutionnaires dans notre pays. EN LUTTE! a fréquemment rencontré ces ennemis de l’unité sur sa route, quand une fraction importante du mouvement refusait même de discuter de ses positions en 1972, 73 et 74; quand une fraction importante du mouvement refusait encore de reconnaître son existence, passant ses activités sous silence; quand des groupes importants du mouvement s’appliquaient encore récemment à déformer le sens de son action auprès de ceux qui étaient moins bien informés.
L’« esprit de cercle » et le sectarisme ont fait également des ravages au sein d’EN LUTTE! et dans nos rapports avec d’autres groupes. Au sein du groupe, c’est encore aujourd’hui parfois la lutte entre comités ou instances de direction, la tentation demeurant toujours présente chez un grand nombre de se construire un « cercle » qui reproduise les conditions d’autrefois où les individualités trouvaient mieux à se faire valoir. Dans nos rapports avec d’autres groupes nous avons nous aussi fait preuve de sectarisme, emportés par l’esprit de concurrence, par le désir d’avoir raison, de remporter la palme.
Comme phénomène de classe, ! »‘esprit de cercle » et le sectarisme tirent leur origine de l’individualisme petit bourgeois qui est tout à fait étranger à l’idéologie prolétarienne — ce qui ne veut pas dire que des prolétaires ne sont pas parfois contaminés par ce travers: ils vivent en société bourgeoise, mais ce qui signifie que le triomphe de l’idéologie prolétarienne suppose l’élimination de l’individualisme dans toutes ses manifestations. La réaction des ouvriers et des travailleurs communistes (m.l.) et des sympathisants du mouvement face aux divisions qui persistent au sein de celui-ci devraient ouvrir les yeux à ceux qui se refusent encore à poser la question de l’unité dans sa juste perspective et avancent une position qui conduit à maintenir et même à aiguiser les divisions, le premier aspect erroné de cette position consistant précisément à nier en pratique l’existence du mouvement.
On doit espérer que ces manifestations de sectarisme, de mépris, d’individualisme petit-bourgeois seront bientôt balayées du mouvement et que l’idéologie prolétarienne y triomphera pleinement. Des signes positifs en ce sens apparaissent, comme nous le mentionnions plus haut. Cela illustre d’ailleurs pleinement l’importance que les ouvriers et les travailleurs se saisissent de la question de l’unité des marxistes-léninistes et fassent comprendre à ceux qui cherchent des prétextes pour la retarder que le temps des querelles de mots est révolu, que le temps de constituer la force dirigeante du mouvement révolutionnaire canadien est venu et que ceux qui n’y croient pas vraiment sont en voie d’être dépassés par les événements, comme l’ont été ceux qui en 1972, 73 et 74, s’entêtaient à soutenir qu’il était trop tôt pour poser la question du parti devant les ouvriers, que d’ailleurs il n’y avait pas d’ouvriers avancés dans notre pays, bref que le réformisme était une étape qui devait précéder le marxisme-léninisme. N’a-t-on pas vu des relents de cette « théorie » chère au R.C.T. survivre jusque dans les Quelques questions brûlantes de la Cellule militante ouvrière, C.M.O., publié il y a à peine un an?!
Pourquoi l’unité? parce que là réside l’intérêt du prolétariat; parce qu’elle est nécessaire à la création du parti, dont le prolétariat, s’il en est privé est condamné à demeurer la victime de l’exploitation capitaliste. Pourquoi l’unité? Pour en finir avec les groupuscules et les formes artisanales de lutte et d’organisation; pour transformer le mouvement en une véritable force politique capable de défendre les intérêts du prolétariat et de les faire triompher.
Comment l’unité? Par la lutte résolue contre tout ce qui est « anti-marxiste »; par la lutte contre l’« esprit de cercle » et l’individualisme petit-bourgeois; par la lutte pour l’unité politique sur une ligne marxiste-léniniste et pour l’unification dans une organisation canadienne de tous les communistes (m.-l.) du pays. EN LUTTE! ne préconise pas une unité à rabais, une unité superficielle, même quand elle s’accompagne de déclarations ronflantes et de « complètes autocritiques », des autocritiques pour la galerie qui laissent bien des erreurs solidement en place; EN LUTTE! préconise une unité bâtie, élaborée dans la lutte, une lutte ouverte, publique, qui rejoigne le mouvement et ses sympathisants dans toutes les régions du pays, une unité qui repose fondamentalement sur un programme marxiste-léniniste pour la révolution socialiste au Canada.
Nous ne disons pas : nous avons la « ligne juste », vous êtes gangrenés par l’opportunisme; venez chez nous et vous deviendrez de vrais communistes (m.-l.). Mais nous disons: voici nos positions; voici pourquoi nous les avançons et en quoi elles se distinguent des autres positions; nous les soumettons à votre attention et à votre critique; nous vous appelons à l’unité organisationnelle sur ces positions; faites connaître les vôtres si elles sont différentes; si elles se révèlent justes et contredisent les nôtres, nous les adopterons. C’est ainsi que nous élaborerons la ligne marxiste-léniniste, c’est ainsi que nous créerons notre organisation communiste, dans laquelle nous établirons des règles, nous appliquerons le centralisme démocratique afin d’arriver à une unité plus grande, afin de tirer profit de nos activités, pour parvenir à l’unité de tous les communistes et créer alors le parti comme force dirigeante du prolétariat révolutionnaire.
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Notre plan est simple, une fois ramené à l’essentiel. Au départ, il y a le mouvement marxiste-léniniste canadien dont l’unité réside dans la reconnaissance de la ligne idéologique marxiste-léniniste et dans un degré plus ou moins avancé d’application de cette ligne à la pratique de la lutte révolutionnaire dans notre pays. Mais le mouvement est également divisé: les propositions politiques qu’il tire des principes du marxisme-léninisme appliqué à la révolution canadienne divergent sur certains points importants de théorie et de tactique; en outre, la division organisationnelle est la règle générale. Il s’agit donc, dans la voie qui doit nous conduire au parti, de lutter pour renforcer ce qui unit le mouvement en luttant contre les applications erronées du marxisme-léninisme à tous égards, y compris à celui de l’unité; c’est ainsi que nous développerons la ligne marxiste-léniniste, que nous formulerons le programme de l’organisation. Il s’agit en même temps de mener cette lutte devant tout le mouvement et devant les masses en avançant l’objectif de l’unité organisationnelle. Une fois les positions clairement exposées et comprises dans tout le mouvement, une fois la démarcation opérée, l’unité organisationnelle se pose d’elle-même comme un geste nécessaire pour tous ceux qui partagent une même ligne.
Si, au départ, l’ensemble du mouvement se reconnaît dans la plate-forme marxiste-léniniste, dans ce qui fonde son unité, il nous paraît possible, si l’esprit de parti l’emporte, d’arriver à l’unité de tous les marxistes-léninistes sur un même programme qui fasse le point sur les questions centrales de ligne à l’étape actuelle, la voie de la révolution, la lutte à l’échelle internationale et les tâches principales actuelles des communistes (m.-l.). Si nous arrivons à l’unité sur ces points il n’y a pas de raison de demeurer désunis. C’est alors au sein de l’organisation que pourra s’édifier l’unité nécessaire à la création du parti.
En pratique, EN LUTTE! préconise qu’au cours des prochains mois les marxistes-léninistes canadiens doivent intensifier la lutte de lignes, la lutte pour se démarquer sur les questions fondamentales du programme communiste, dans le but d’arriver à l’unité politique et organisationnelle. Pour notre part, nous entendons nous engager plus résolument dans cette tâche cruciale qui vise à faire triompher une juste application du marxisme-léninisme à la révolution canadienne. Pour cela, nous exposerons nos positions clairement et ferons la critique de celles que nous jugeons erronées dans notre journal et notre revue, en organisant des conférences auxquelles nous inviterons tous les marxistes-léninistes à défendre leurs positions sur les questions centrales, en incitant les marxistes-léninistes, les ouvriers et les masses en général à se saisir de la question, à l’étudier dans des débats auxquels nous prendrons part si on le désire.
Nous pensons que c’est ainsi que la ligne marxiste-léniniste émergera, triomphera de l’opportunisme et s’imposera à l’ensemble du mouvement. Les conditions seront alors réunies pour convoquer le congrès du mouvement marxiste-léniniste canadien et créer l’organisation canadienne de lutte pour le parti.
[1] Les propos de Mao Zedong méritent d’être cités plus longuement. Il écrit: « Celui qui adopte cette attitude étudie la théorie marxiste-léniniste dans un but déterminé, qui est d’unir la théorie marxiste-léniniste avec la réalité du mouvement de la révolution chinoise et de trouver dans le marxisme la position, le point de vue et la méthode qui permettent de résoudre les problèmes théoriques et tactiques de la révolution chinoise. ( ... ) Une telle attitude consiste à rechercher la vérité dans les faits. Les « faits », ce sont les choses et les phénomènes tels qu’ils existent objectivement; la « vérité », c’est le lien interne de ces choses et phénomènes, c’est-à-dire les lois qui les régissent; « rechercher » c’est étudier. Nous devons partir de la situation réelle à l’intérieur et à l’extérieur du pays, de la province, du district et de l’arrondissement, en dégager, pour guider notre action, les lois qui sont propres à cette situation et non pas engendrées par notre imagination, c’est-à-dire trouver le lien interne des événements qui se déroulent autour de nous. Pour cela, nous devons, en comptant non sur nos idées subjectives, sur l’élan d’ un instant, sur la connaissance livresque, mais sur les faits réels tels qu’ils existent objectivement, recueillir minutieusement les matériaux et, à la lumière des principes généraux du marxisme-léninisme, en tirer des conclusions justes. Ces conclusions ne seront pas une simple énumération de phénomènes dans l’ordre A, B, C, D; ce ne seront pas non plus des écrits remplis de clichés usés et de bavardages prétentieux, ce sont des conclusions scientifiques. Une telle attitude implique le désir de rechercher la vérité dans les faits et non de plaire au public en débitant de belles phrases. Une telle attitude n’est autre que l’expression de l’esprit de parti, le style de travail marxiste-léniniste qui unit la théorie à la pratique. C’est le minimum requis d’un communiste. Celui qui adopte cette attitude ne sera ni de l’espèce « tête lourde, pieds faibles, racine mince », ni de l’espèce « bec acéré, peau épaisse, ventre creux » ! »
Tiré de Réformons notre étude (mai 1941), dans Textes choisis de Mao Zedong, Pékin, Editions en langues étrangères, 1972, pp. 220–221.
[2] Documents de la première conférence de Mobilisation (Groupe communiste marxiste-léniniste), Montréal, juillet 76, page 70.
[3] La Forge, no 12, 13 juin 76, p. 11.
[4] Voir la conclusion de la Réponse de la Ligue au May 1st Collective dans le no 6 de Canadian Revolution, à paraître dans les prochains jours.
[5] Supplément au No 29 d’EN LUTTE!, 12 décembre 1974.
[6] De la pratique (1937), Textes choisis de Mao Zedong, Pékin, Ed. en langues étrangères, p. 83
[7] Voir l’avant-premier numéro d’EN LUTTE!, 1er mai 1973.
[8] Voir le No 21 d’EN LUTTE!, 27 juin 1974 et aussi Les Cahiers d’EN LUTTE! Nos 1 à 10.
[9] Montréal, juillet 1976, page 70 en particulier.
[10] Voir, entre autres, Histoire du Parti communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S. pour de ce qui est de la Russie; Pour la parution de la revue Le Communiste de Mao Zedong pour ce qui est de la Chine ; Histoire du Parti du Travail d’Albanie pour ce qui est de ce dernier pays.
[11] La Forge, No 9, 22 avril 76, page 3.
[12] Documents de la première conférence de Mobilisation, page 70.
[13] Série de quatre articles parus dans le journal EN LUTTE! du no 38 au no 41, du 8 mai au 19 juin 75, parus ensuite en anglais dans Canadian Revolution, vol. 1, no 3, oct.-nov . 75, pp . 13–24.