Parti Communiste Algérien

Lettre du Parti Communiste Algérien au FLN

12 juillet 1956

Le 12 juillet 1956

Chers frères,

Au cours des entrevues qui ont eu lieu dans le courant des mois de mai et juin entre représentants du FLN et du PCA nous vous avons fait part de la position de notre parti sur le problème vital de l’union nationale dans la guerre de libération.

Nous avons proposé la transformation du FLN en une sorte de Conseil national algérien de la résistance (peu importe le nom de l’organisme, qui peut garder l’appellation du FLN) par son élargissement notamment aux communistes algériens.

  1. Sur un programme commun. De ce point de vue, nous considérons que la plateforme définie par le FLN dans le journal tunisien l’Action constitue déjà une base positive. De même nous considérons comme positives les récentes prises de position politique du FLN qui traduisent la maturité grandissante de notre mouvement national.

  2. Dans le respect de l’indépendance politique et organique de chaque parti et organisation.

Vous n’avez pas admis ce point de vue. Considérant que l’adhésion au FLN est incompatible avec l’appartenance à un parti, vous nous avez proposé, entre autre, la dissolution du PCA et l’adhésion individuelle de ses membres au FLN. En cas de non acceptation par notre parti de cette proposition, vous avez suggéré une formule de coopération FLN-PCA dans un certain nombre de domaines.

Après avoir longuement étudié et discuté ces problèmes la direction de notre parti, unanime, a décidé :

  1. De refuser l’idée de dissolution du PCA que nous estimons non conforme aux intérêts fondamentaux de la classe ouvrière et du peuple algérien.

  2. D’insister auprès de vous pour la prise en considération de notre proposition et la réalisation d’une union véritable, qui ne peut se faire par la suppression des tendances, mais dans l’action commune de tous les patriotes pour des objectifs communs.

  3. D’organiser dans l’immédiat la coopération avec le FLN, coopération, qui, en fait, a déjà commencé d’une façon fructueuse.

  4. D’accepter, dans le but d’accroître l’efficacité de la lutte, l’unification militaire. A ce sujet un accord est déjà intervenu entre votre délégation et la nôtre sur les deux points suivants :

    1. Les groupes armés de campagnes et les groupes d’action dans les villes dirigés par les communistes et faisant partie de l’organisation militaire clandestine « les combattants de la libération » s’intègrent dans l’Armée de libération nationale et acceptent le contrôle du FLN.

    2. Les militants communistes qui sont déjà dans l’Armée de la libération nationale ou qui en feront partie n’auront plus de liens organiques ou de liens politiques organisés avec le PCA jusqu’à la fin de la lutte armée de libération, sans toutefois renoncer à leur idéal et à leurs convictions politiques.

Ceci précisé, nous tenons à vous exposer avec franchise les raisons qui ont motivé le refus de la dissolution par notre Comité central. Tout d’abord notre parti est d’essence démocratique. Une telle décision serait du ressort d’un congrès souverain. Cependant, même s’il était possible de réunir un tel congrès le Comité central demanderait le rejet de la dissolution. Et ici nous abordons les raisons de fond.

  1. Le PCA est le parti de la classe ouvrière et de la paysannerie pauvre. En tant que tel, il est le défenseur naturel et conséquent des intérêts et des objectifs propres à la classe ouvrière et à la paysannerie pauvre. Ces intérêts ne s’opposent pas à ceux de l’ensemble du peuple, ils en sont au contraire le levain permanent. Le but actuel est et reste la libération nationale à laquelle œuvrent les Algériens sans distinction de classe sociale exception faite de certains féodaux. A cette libération la classe ouvrière et la paysannerie pauvre apportent effectivement la contribution décisive. Or c’est précisément dans la mesure où elles sentent que la lutte libératrice aboutira aussi à des changements dans leurs conditions matérielles d’existence qu’elles participent avec plus d’ardeur à la lutte. L’existence d’un parti marxiste-léniniste fort demain, dans une Algérie libérée du colonialisme, poursuivra la lutte pour la suppression de l’exploitation de l’homme, pour la remise de la terre aux paysans qui la travaillent, pour l’instauration d’une société socialiste. L’existence d’un tel parti est d’ores et déjà une garantie que les travailleurs algériens avanceront vers une libération complète c’est-à-dire une libération qui sera non seulement politique, mais aussi économique, sociale et culturelle.

  2. Notre parti est le seul en tant que tel à rassembler dans ses rangs des Algériens de toutes origines, musulmans, européens, israélites. Il éprouve une légitime fierté d’avoir formé des patriotes conséquents, non seulement parmi les musulmans qui subissent directement l’oppression nationale, mais aussi les européens, comme en témoignent l’action et le sacrifice d’Henri Maillot, Maurice Laban et tant d’autres héros qui luttent et meurent pour que vive l’Algérie libre et indépendante.
    Ce faisant notre parti a porté un coup très dur à la politique de division raciale des colonialistes. Il a réussi à détacher une fraction non négligeable de travailleurs européens de l’influence du colonialisme et à faire avancer ainsi la cause de la nation algérienne. L’existence et le renforcement du PCA sont une garantie que cette évolution se poursuivra dans l’intérêt du mouvement national. Sa dissolution aboutirait au contraire à un recul de cette évolution.

  3. Une dissolution éventuelle du PCA apparaîtrait comme une condamnation ou un renoncement à son passé, à ses luttes, à ses traditions. Or notre parti [est] conscient, tout au long de plusieurs années de lutte, d’avoir contribué à la juste orientation, au développement politique et organique et à l’essor actuel du mouvement national (les colonialistes qui l’ont dissout ne s’y sont pas trompés). C’est pourquoi le PCA ne peut renoncer à apporter sa contribution originale au mouvement, à se préoccuper du déroulement de la lutte, à donner sa position sur ces questions d’intérêt général du mouvement grâce à un contenu politique toujours plus sain.

  4. L’existence du PCA renforce la sympathie dont jouit la cause de l’Algérie chez tous les peuples, au sein au camp socialiste et en particulier dans la classe ouvrière française. Ce qui aboutit à élargir les forces anti-impérialistes solidaires de notre combat.

  5. Enfin l’existence du PCA, dont les efforts ont toujours tendu vers la formation d’un Front national démocratique algérien, est une garantie que cette union ira se renforçant sur le triple plan de l’unité ouvrière au sein d’une centrale syndicale nationale unique, de l’unité politique des forces nationales et démocratiques et de l’unité militaire des forces armées de la Résistance. Des progrès ont été réalisés en ce sens. Il importe de faire plus encore. Pour sa part le PCA n’y faillira pas.

Comme vous le voyez ces considérations ne s’inspirent nullement de questions de prestige ou d’étroits intérêts de parti, mais bien au contraire de l’intérêt présent et à l’avenir de l’Algérie, à l’heure où se pose pour notre peuple le dilemme : vaincre ou mourir.

La coopération qui s’instaure entre nous sera, nous l’espérons, de plus en plus fructueuse. Elle fera reculer la méfiance et les préjugés, tous les germes de division. Elle renforcera l’estime et la compréhension mutuelles entre les fils d’une même patrie. Elle fera avancer la cause de l’union. Elle hâtera l’heure de la victoire.

Veuillez croire, chers confrères, à nos sentiments patriotiques.

Comité central
Parti communiste algérien